Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

lundi 2 janvier 2017

Letterpress sans print

 
Une réalisation sous l'application SimplyMpress chez Mpressinteractive LLC, sur les markets d'Apple, d'Android ou d'Amazon...
 
 
En errant sur la toile sous le champ letterpress, j’ai découvert de nouveaux terrains d’application qui m’ont posé question. Il y a peu, je prônais en conférence la nécessité du retour à la dimension solide pour justifier mon investissement dans les apprentissages de l’impression typographique à l’intention d’une génération en proie à une dématérialisation forcée…
 

Depuis un peu plus de deux ans maintenant, je peine à réunir des témoins de ces âges que je célèbre ; et j’y réussis aussi en étayant mon équipement en caractères mobiles comme s’élargit substantiellement mon parc de presses typographiques. Et voilà que je découvre une œuvre qui prétend participer du Letterpress reload… sans encre, ni papier ! Passées mes premières réactions, on verra que le projet sert malgré tout le dessein annoncé.
Il s’agit non seulement d’une appli mais d’une aventure assez complète et ambitieuse.
En 2011, John Bonadies boucle avec un large succès sa campagne de crowdfunding sur KickStarter et lance sur l’AppStore LetterMpress. Malheureusement, je ne possède pas de machine de la firme évoquée, alors je n’ai pas pu encore jouer. Cependant, j’ai trouvé un ersatz – mais qui ne supporte pas la comparaison !!! –, SimplyMpress, le ‘M’ pour mobile, vous l’aurez compris. Ce dernier est gratuit (encore heureux !) quand le produit de Bonadies, beaucoup plus complet, est payant ; une app’ à 5 ou 6 $, je crois. Les deux produits portent pourtant la même enseigne mpressinteractive LLC ; je n’ai pas démêlé ça…
 
 
Le trailer de l'appli LetterMpress, disposnible pour Ipad, et IPhone, je suppose...
 
Avant de revenir sur l’expérience du premier, regardons mon appli, un peu pourrie, il faut le reconnaitre.
 
Et là surgissent les questions sur la dimension physique, de celle qui fait déserter de jeunes designers pour retourner aux sources, celles de l’atelier, avec ses parfums d’encre et d’essence, ses papiers qu’on doit fouler (ou pas – kiss or bite, that is the question…) et les borborygmes des platines. Bref, je m’égare. Cependant, nul parfum, nul craquement, nul souffle dans l’expérience qui nous est offerte là. Il s’agit de « jouer au letterpress »… à l’écran ! Mais pourtant, n’était-il pas question de recouvrer, de respirer ce dont l’ascète numérique ne transpirait plus ? Là, pour le coup, pas de souci de justification ni de serrage de la forme – quand, justement, LetterMpress en propose une projection plus convaincante, nous le verrons. En gros, c’est un mini-photoshop assisté qu’on nous sert. Pour finalité, quand même, le jet d’encre ! Enfin, en termes de parts, une majorité des productions doivent rester confinées aux circuits numériques, ne s’échanger que via les réseaux – tout est fait pour qu’on y customise les photos dans son téléphone –, et c’est pas plus mal ! Bon, au moins, ça ne salit pas les pattes.
 
D'abord, je choisi mes lettres. Il n'y a pas beaucoup de choix quand on veut se la jouer "woodtype". Je suppose qu'il faut se payer des polices en sus; certaines sont bloquées dans la version de base.
 
 
On peut importer des images depuis son répertoire. Celles-ci sont traitées comme des gravures. On peut, à loisir, changer les textures pour des effets plus ou moins "vintage"...

 
 
Et voilà l'encrage. On est loin du marbre. Ne pas compter non plus sur son nuancier Pantone; trois pauvres cursers et pis c'est tout.
Mais il y a un vaste choix de papier, dont certains faits mains! Si, si!
 
 
 
Il est évident que ce gadget ne sert pas la cause, se contentant de satisfaire à l’offre des aides-loisirs-créatifs sur une tendance bien portante, on le sait. C’est fait pour poster ses vœux ou fêter tel anniversaire. Au passage, j’ai une pensée pour tous les propriétaires de tables basses type Pier Import – ou Maison du Monde ? – modèle ‘imprimerie’ ; eux aussi, contribuent à la préservation d’un métier disparu et pourtant tellement charmant. He, les gars, allez voir chez Casa, je crois avoir vu une toile peinte letterpress une fois…
 
L’appli au catalogue Apple répond autrement.
 
 
D’abord, l’environnement comme l'interface sont plus inspirés. On y trouve une véritable simulation. L’utilisateur compose directement sur le lit de la presse comme d’ailleurs il animera le chariot de pression au terme de sa création. Il se sert dans des casses dont l’origine est bien réelles ; les alphabets ont été préalablement acquis depuis d’authentiques caractères en bois. Pour justifier sa composition, l’usager utilise des blancs, des interlignes. Il sert ses lignes avec des speed quoins ou directement avec des aimants sur la presse. L’ergonomie convoque le tactile au-delà de seuls points d’ancrage à tirer ; on se sert dans une boîte à outils pour éprouver ces petites opérations qui sont le sel de la composition artisanale et manuelle. L’offre de supports (le papier virtuel) comme le choix des grains, plus ou moins « vintage » demeurent bien artificiels mais le décorum est autrement assumé. Un lot de clichés complète les sets de lettres pour imaginer des compositions complexes, à tirer en plusieurs passages et autant d’encrages. Le travail fini, on peut débarrasser sa forme dans une galée et la remiser pour un futur tirage.
 
 
L'essai d'un bloggeur sur Apple Gazette, un canal dédié aux produits et accessoires de la marque éponyme.
 
 
Ceci étant, mes réserves pourraient persister quant au sens de tout ça et au regard du contexte. Je participe, humblement, au mouvement de sauvegarde de l’impression typographique comme je goûte le plaisir de manipuler ces matériels « physiquement » ; des matériels dont une grande part du peu qui reste est toujours en péril. Cette application ne participe-t-elle pas, elle, au phénomène de dématérialisation généralisée et qui est la raison de ma motivation ?
En poussant un peu la découverte, on apprend que la campagne de financement participatif – 15.000$ pour objectif, de très loin dépassés – avait pour objet, non pas à proprement parler le développement ni le lancement, mais l’acquisition d’une bibliothèque de formes physiques. En effet, la levée de fond devait permettre à la petite entreprise de se doter des polices à numériser pour « équiper » l’appli. En gros, c’était pour acheter des casses. Car les alphabets disponibles dans l’application sont de véritables formes imprimantes. Mais elles n’ont pas que cette (seule) nouvelle vie ; elles ont rejoint le fonds d’une autre structure, attachée à l’aventure, l’atelier The Living Letter Press à Champaign, Illinois. Ce plateau, dirigé par John Bonadies, accueille de vrais imprimeurs en herbe qui prolongent l’aventure letterpress. Aussi, l’appli n’est qu’un moment d’une entreprise plus ambitieuse de promotion de l’impression typographique.
Ironie (?) de l’histoire, les formes numérisées pour LetterMpress sont au catalogue de MyFonts pour un usage à l’écran, en versions bureau ET web !
 
 
Voilà une belle boucle qui convoque des acteurs qu’il serait peut-être idiot de mettre en concurrence tant ils jouent tous leur rôle, à leur échelle, pour le prolongement de l’expérience typographique. Ces temps-ci, j’échange avec un camarade spécialiste de l’impression 3D pour étudier l’opportunité de réaliser de nouveaux matériels typo via ces nouvelles technologies – bien inspiré par la fantastique expérience A23D conduite par Richard Ardagh de New North Press en 2015. The Living Letter Press est un autre crossover ; une solution pour concilier la conservation et les plaisirs de l’impression et les enjeux actuels. C’est là une clef de l’avenir du letterpress – parce qu’on peut l’imaginer ! –, que de considérer dans une vision mutuelle, les gestes et les moyens artisanaux avec les approches et supports les plus contemporains.
 
M'enfin, je préfère quand même jouer avec mes caractères en bois et m'en mettre plein les mains...

 


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