Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

dimanche 21 septembre 2014

Une bergère qui s'appelait Dolly...




Mezzotinto à la poupée.

C’est pourtant en anglais qu’il faut entendre cette proposition et avec le délicieux accent du maître graveur qui m’a éclairé quant à cette drôle de manière noire : Dr Anthony Dyson, éminent spécialiste de la chose dont il enseigna l’art outre-Manche. Il faut aussi vous dire combien son français est excellent ; il a un point de chute depuis quelques années dans nos provinces qui m’a valu de le rencontrer par l’intermédiaire de Mami’stigri, sa voisine à qui il a offert la planche sujet de la présente étude. Mais c’est en anglais – et le mien est bien moins fameux – que nous avons échangé. Aussi, j’ai mieux compris les tenants et aboutissants de la technique qui nous intéresse dans des termes anglo-saxons en l’observant sur une impression produite au début du XXe siècle en Angleterre et me documentant en conséquence depuis des sources anglaises et américaines. Etant particulièrement novice dans ce secteur, j’ai trouvé des entrées très accessibles et suffisamment nombreuses sur les procédés d’impressions au XIXe siècle et auparavant dans des articles et catalogues américains notamment. Ce  sont ensuite ajoutées à ces premières ressources les publications de recherches qu’Anthony Dyson m’a fait parvenir avec une générosité qui distingue encore un authentique gentleman.

 
La plaque de cette jolie pastorale fait 32 cm par 27,4 cm. L'image, elle, 28,5 cm par 22,4 cm. La gravure a été pressée sur un format 61 x 43 cm qu'on ne voit pas sur ce cadrage. 
 
Mais, dans l’ordre, le premier document consulté m’a été conseillé par un autre collègue, aussi féru que pointu et que je ne saurais trop remercier pour ses tuyaux : The Printed Picture de Richard Benson, publication concomitante à une exposition éponyme au MoMA en 2008. Cet excellent ouvrage dont l’impression est d’ailleurs proprement bluffante recense tous les modes de production de l’image à des fins d’impression depuis les premiers bois et burins médiévaux jusqu’aux récentes perspectives du numérique – en passant par la photographie bien entendu. Mais ce beau livre qui est depuis mon premier réflexe ne devait pas permettre de circonscrire mes interrogations devant l’image objet de cet article.
Quand j’ai découvert cette image pour la première fois, et avant de m’en rapprocher un peu plus, je crus d’abord tenir une chromolithographie ; cette technique m’était plus connue pour être systématiquement convoquée dans les histoires du design graphique que je possède et dispense auprès de mes étudiants. Mais très vite de premiers constats devaient justement me détourner de ce mauvais diagnostic. La litho produit de petits points très caractéristiques et qui participent aux transitions entre les tons. Ce « pointillisme » (ang : stippling) génère une impression autrement « granuleuse » au regard du velouté qui peut même tirer au vaporeux de notre image. Par ailleurs, la chromolitho dissimule assez peu sa séparation de couleurs. Ces dernières peuvent même paraitre très saturées et mieux révéler les différentes plaques et passages constituant l’image. Évidemment, je tiens ici un propos très généraliste ; certains contre-exemples particulièrement sophistiqués offrent de véritables casse-têtes à qui veut isoler précisément les différentes couleurs.
 
 
On peut "lire" les couleurs au niveau de l'horizon et distinguer des tons directs de la palette dans les couleurs les plus saturées; un (peut-être deux) bleu(s), un violet, du jaune, de l'orange et des terres sur le troupeau de mouton dont la lumière est figurée par la réserve...
 

Cette première piste écartée, le mystère s’épaissit quant à la fascinante pastorale. Je pris alors le parti de googliser la firme qui imprima l’image en 1923, Alfred Bell & Co. Une grande part de l’art de la gravure était dédié – et depuis les premières images imprimées – à la reproduction d’œuvres originales à des fins de diffusion au-delà des seuls terrains du livre. Et plus particulièrement dans le contexte de la révolution industrielle anticipée en Angleterre, une mode se développe et un marché avec elle. Ce goût pour la gravure à laquelle pouvaient accéder de plus en plus de clients amateurs, va contribuer tout naturellement au développement des ateliers dont certains survivront jusqu’au XXè siècle – c’est notamment le cas de la firme Thomas Ross qui sert d’appuis à la thèse d’Anthony Dyson sur le marché de la gravure au XIXè s.

 

 
la marque de l'atelier londonien au 6, Old Bond Street, gravée en 1923 dans de sobres anglaises en appuis sur une règle, très fin, très petit!
 

Le perfectionnement des techniques – avant même la photogravure qui devait sceller le sort de nombreuses techniques héritées du moyen âge et de la renaissance – servait de mieux en mieux une haute définition pour une fidélité accrue des reproductions au regard des originaux produits de la peinture à l’huile ou du dessin. Dans ce cadre, les gravures en couleurs et en passages multiples rendaient toujours mieux les qualités originelles des œuvres. C’est à ce moment que je découvris le terme mezzotinto (ou mezzotint) dont la maison Alfred Bell s’était fait une spécialité. Rapidement je trouvais la correspondance avec la manière noire mais je n’étais pas rendu pour autant…



Les premiers résultats pour le champ ‘Alfred Bell & Co’ convergeaient tous vers un procès resté dans les annales du droit et qui a beaucoup contribué à l’histoire du copyright. Dans les années 1950, une autre firme spécialisée dans la reproduction d’œuvre d’art mais qui ne possédait pas les droits utiles auprès des musées et galeries propriétaires des œuvres originales se mit à copier les interprétations d’Alfred Bell & Co. Un procès s’en suivit et qui devait statuer sur le caractère malgré tout original et créatif de l’acte de reproduction de la firme plaignante. Ce cas fit jurisprudence et contribua à mieux protéger les graveurs-imprimeurs dans un marché important et fort concurrentiel. Dès lors le statut de la gravure s’en trouvait changé. On note d’ailleurs sur notre gravure (en bas de l'image) la mention au droit américain qu’on relève souvent dans ces images. Celles-ci convoquent parfois des lois du Congrès, grand législateur du copyright.



Passons… C’est toujours la technique qui m’intéressait. Dans le même temps, certains collègues plus spécialistes que moi me confirmaient l’existence de manières noires en couleurs. Je ne connaissais alors aucune autre épreuve que monochrome. J’apprenais aussi qu’on pouvait aujourd’hui se procurer des plaques déjà apprêtées pour cette technique particulièrement exigeante. Mais j’y reviendrai plus loin. Je trouvais d’autres indices mais encore flous sur l’impression mezzotint en plusieurs passages. Cependant, l’observation de mon image me troublait toujours tant je ne saisissais pas les solutions ; en effet, les transitions étaient tellement fondues qu’aucun témoin d’un éventuel repérage n’apparaissait…

  

 

Une fiche technique du Met de New-York rédigé par Elizabeth E. Barker du département des dessins et estampes du célèbre musée américain propose une description particulièrement claire du procédé. On y trouve dès l’introduction un lien vers une autre fiche de la National Portrait Gallery tout aussi bien faite tant il est vrai que la gravure en mezzotint est connu comme la « manière anglaise »  l’âge d’or de la dite technique est bel et bien celui du portrait anglais entre XVIIe et XVIIIe siècle. Pour preuve, et de l’aveu même des observateurs français, Anthony Dyson rapporte des extraits de jury de l’Exposition Universelle de 1885 : « (…) la manière noire, gravure dans laquelle excellent les anglais » on célébrait là le graveur anglais William Henry McQueen (in Pictures to print, p.8).
 
C’est plus probablement Amsterdam et d’aucun préfère 1642 mais c’est effectivement sous ces latitudes qu’est gravée la première manière noire par Ludwig Von Siegen, lieutenant de Prince Rupert. Il s’agit d’un portrait d’Amélie Elisabeth Hanau-Münzenberg, épouse Hessen-Kassel, maison allemande proche par quelque cousinage de Prince Rupert du Rhin… (définition ci-dessus : Dictionnaire des inventions, des origines et des découvertes de Noël, Carpentier et Puissant, 1837. Et en italien c’est plus joli…)
 
Ce que nous appelons sous nos latitudes la « manière noire » fut développé par un commandant anglais natif de Hollande, Prince Rupert of the Rhine dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Il améliorait en fait l’invention de Ludvig von Siegen qui n’avait pas trouvé encore les outils les meilleurs pour ce nouveau procédé. Car on ne peut dissocier le produit de l’outil : le berceau (ang : rocker). Cet instrument, sorte de lame « en berceau » munie de petites dents et montée sur un bras vient mordre la plaque vierge selon un ordre et une pression suffisamment réguliers pour marquer après de nombreux passages successifs toute la surface de la plaque. Ainsi, après préparation – et avant la gravure du motif à proprement parler – le cuivre initialement poli devient totalement mat. Aussi, si on encrait la plaque à ce moment et avant toute autre intervention l’épreuve produite donnerait un noir profond et particulièrement velouté (« a velvet black », disent-ils…) Le graveur compose ensuite au brunissoir pour écraser à loisir la surface dont le métal a été littéralement – et intégralement – repoussé. Les parties « écrasées » seront la lumière qui émergera du noir de la plaque. Autrement dit, ces parties ne retiendront pas l’encre qui restera captive des incisions ménagées par le berceau.
 

Un bel outil que m'a confié Anthony Dyson. Celui-ci est de modeste rayon; de plus grands peuvent être montés sur des bras pour faciliter la laborieuse préparation qui, dans les ateliers semi-industriels, étaient déléguée à des "bras" plus costauds...


Dans le glossaire de l’ouvrage d’Anthony Dyson Printmakers’ secrets, on trouve ces documents témoignant du savoir-faire de l’un des plus grands maîtres du siècle passé : Lawrence Josset qu’Anthony Dyson eut le privilège de côtoyer. On peut apprécier sur le diagramme les travaux de préparation de la plaque : quelques 32 passages préliminaires et plusieurs semaines de travail avant même d’attaquer la création !


 
Un petit effort et vous pourrez découvrir les témoins de la préparation à la manière noire (pas évident au regard de la nécessaire compression de mon illustration). Les traces du berceau, visible dans les teintes brunes de la prairie, débordent de l'emprise de l'image. Ces repentirs, nettoyés tant que faire se peut auront retenu malgré tout quelques résidus d'encrage. (Au milieu, sur notre gravure).
 
Aussi, le mezzotinto, logiquement associé aux techniques dites en intaglio – vulgairement, en creux – cultive cette ambigüité de classement quand on admet que ce sont les parties les plus en saillies qui sont imprimantes. Mais ce sont là des débats qui ne doivent exciter que quelques praticiens des plus obsédés…
 
Mais ces éclairages, pour autant que je pouvais les comprendre, ne me révélaient pas encore le secret de ma belle image. C’est qu’à ce stade de mon histoire, je ne possédais pas encore tout ce que j’ai versé à mon article contre le cours chronologique de cette petite aventure. Bref, je peux peut-être faire illusion avec ces différentes ressources mais je tiens le fin mot de mon enquête de Mister Dyson qui m’aura finalement affranchi par ses savantes lumières.
 
 
La manière noire à la poupée.            
Non, c’est pas du vaudou.
 
 
Francesco Bartolozzi (RA), l’Innocence instruite par l’Amour et l’Amitié d’après Giovanni Battista Cipriani (RA aussi, décidemment…) Pointe sèche, technique pointilliste (stippling), 94 x 128 mm. 1784. Photo R.A.
On attribue à Francesco Bartolozzi (1725-1815) le développement de l’encrage « à la poupée ». Ce graveur florentin sera d’ailleurs admis à la Royal Academy en 1784. La National Portrait Gallery, baromètre de l’influence et de la reconnaissance de tel artiste en Angleterre, compte différents portraits de Bartolozzi… Dont plusieurs manières noires !
La firme Thomas Ross & Son, objet de la thèse d’Anthohy Dyson, possède à son catalogue une autre œuvre de Cipriani figurant deux allégories, l’amour et la chance très proche de notre illustration.
Avant ces pionniers transalpins, Johannes Tayler, hollandais, s’y était essayé dès la fin du XVIIIè siècle. Après que j’ai découvert son existence dans des documents que m’a confié Anthony Dyson, j’ai bien trouvé quelques belles planches botaniques mais encore peu d’information. À creuser donc… 
 
 
Il n’y aura jamais eu qu’une seule et même plaque pour fouler le papier de cette estampe. Mais alors comment générer cette vaste gamme chromatique? A l’instar du peintre, le graveur composait sa palette avec les teintes utiles pour appliquer ensuite sur la plaque les couleurs choisies à l’aide d’autant de « poupées » que nécessaire. Ces poupées – l’expression « rag doll (style) », trop attachée à l’univers du jouet ne s’étant pas imposé par-dessus le terme français  – sont des sortes de fusettes de tarlatane, de cette même gaze avec laquelle on frotte la plaque dans les autres techniques sur cuivre.
 
Anthony Dyson m’a confié de précieuses notes pour aide-mémoire quand il se prêtait à cet exercice. On découvre comment il forme ses poupées depuis de petites bandes de tarlatane. On utilise différentes qualités de tarlatane, plus ou moins dure/souple, pour les étapes de mise en couleurs. Ci-dessous, des reports de palettes d'Anthony Dyson pour la mise en couleurs de gravure, notamment pour l'exécution de tirage d'après Gerry Baptist, peintre et graveur britannique:
 
 
 
Il faut donc imaginer le graveur, en mode coloriste, appliquer délicatement sur le support gravé les couleurs depuis la palette tout en nuances pour mieux comprendre la variété de demi-teintes – ne parle-t-on pas de mezzo-tinto! – et mieux comprendre encore l’aspect très progressif des transitions entre couleurs qui participe du velouté déjà caractéristique de la manière noire. Evidemment, chaque tirage, plus encore que dans d’autres techniques, est absolument unique puisque l’opération au combien  laborieuse et délicate doit être renouvelée à chaque pressage comme pour créer un tableau original. Aussi, dans cette technique, le nombre d’épreuves qui pouvaient sortir de l’atelier n’excédait pas 2 à 3 tirages par jour !
 
Immédiatement après avoir appris les mystères de cette jolie planche et considérant encore la grande fragilité de la plaque en manière noire par rapport à d’autres techniques de burins on s’interroge logiquement sur la viabilité du procédé dans un contexte commercial. C’est une reproduction trop précieuse pour soutenir la concurrence de la chromolithographie qui devait d’ailleurs enterrer la technique en mezzotinto dans la niche de l’impression d’art la plus exclusive. Roger Harris, un graveur contemporain convoqué dans l’ouvrage Printmakers’ secrets, de concéder son amour pour « the most beautiful form of printmaking » (p.71). Ce dernier s’exprimant d’ailleurs dans une technique de manière noire à plaques multiples d’une autre complexité! À cet endroit, c’est aussi affaire de goût. On peut être tout aussi ému par la finesse d’autres techniques de gravures au trait, de celles dont on a toujours du mal à croire qu’elles sont de la main du graveur tant les lignes qui s’entrecroisent savamment pour générer tel dégradé sont mécaniquement parfaites. Mais ce petit quelque chose propre à la manière noire, ce dessin avec la lumière – from dark to light – et ses effets de textures si particuliers en font malgré tout une technique unique tout à fait singulière dans les champs de la gravure.


(Epilogue.)
 
Pour l’instant je n’ai pas retrouvé l’inspiration originelle de cette image. Mami’stigri m’a bien orienté du côté d’Anton Mauve, qui fut l’un des maîtres de Van Gogh et dont le Rijksmuseum d’Amsterdam possède une vaste collection. Mais ses bergères ne conduisent pas les moutons dans le même sens ou tel arbre s’invite pour ne pas correspondre au tableau inconnu à l’origine de notre gravure. Un autre peintre aurait pu matcher mais ce dernier boudait les ovins pour préférer régulièrement les vaches, ce qui est profondément injuste au regard de la contribution des premiers au peuplement salutaire des sinistres landes écossaises comme au développement du point jacquard…
Je dois encore fouiller du côté de Millet et imitateurs…
 
 
Les sabots d'Hellène... euh, Dolly!
*
 
Prolongements*
* sous l’onglet éducation de tel site institutionnel on appelerait ça « pistes pédagogique ». C’est ici, non seulement un complément à l’exposé mais on peut le prendre aussi comme des options pour dépasser ou connecter le sujet vers des entrées connexes.
 
 
Appendix…
 
…Comme celui du Coloritto de Jacob Christoph Le Blon, court traité sur la couleur à l’attention des peintres paru en 1725 et qui présente, pour la première fois – et dans des planches intégrées à l’édition – une impression couleur à plaques multiples.
 
 
Dans son petit ouvrage, Le Blon parle de « mezzeteinte » en français dans le texte (ou mezzetinte, mais c’est peut-être une coquille) pour qualifier les tons en « demi-ombres ». L’anglais donne demishade sans italianiser le terme quand les anglosaxons y vont habituellement joyeusement. En effet, Coloritto est proposé dans une édition bilingue.
 
Qu’on ne s’y trompe pas, cette démonstration n’est pas, en l’état, celle d’une technique d’impression visant à figurer le spectre coloré par synthèse optique après différents passages. En l’occurrence, ces deux groupes d’images soutiennent un propos sur la palette chromatique du peintre et tiendraient plus de l’illustration de la complémentarité des couleurs. Toujours-est-il que Le Blon peut passer justement pour le précurseur de ce que sera bien plus tard, et via la chromolithographie, la quadrichromie.
Pourquoi convoquer ici l’Harmonie du coloris dans la peinture, c’est pour revenir sur l’impression à plaques multiples – et la question de la séparation – qui, pourrait-on le croire, aura concurrencé notre technique, décrite au-dessus. Et bien cette première concurrence n’a pas conduit la colorisation à la poupée à sa perte – du moins pas tout de suite. Bien au contraire, les exigences des premières techniques à passages multiples restèrent longtemps insolubles et firent même préférer à de nombreux imprimeurs la plaque unique colorée.
Les principales difficultés des passages multiples tenaient dans le repérage et l’humidification du papier. Le premier problème conduit au système de tétonnage des différentes plaques mais pas encore satisfaisant. Les problèmes de dilatations et rétractation du support, plus ennuyeux encore, pressaient les ouvriers ; ces derniers devaient travailler plus vite pour maintenir un juste taux d’imprégnation du papier et limiter la déformation de la feuille. On imagina aussi différentes astuces comme le contre-collage des platines avec du liège pour mieux gérer le report des passages successifs. Rien de suffisamment concluant au début pour supplanter un process – la colorisation de la plaque unique – pourtant particulièrement délicat et chronophage. Notre technique, réputée plus ancienne, sera donc encore d’actualité au long du XIXè siècle et encore au siècle suivant. Evidemment, elle se limitera de plus en plus à des travaux « précieux ». Cependant, les gravures à la poupée – et cela peut tenir aussi à la désuétude des sujets traités – connaitront un relatif désamour voir un mépris qui contribuera à les dévaloriser, en termes marchands.
Le glas des techniques d’intaglio (en couleurs) sera bel et bien sonné par la chromolitho qui saura seule répondre aux besoins exponentiels, de masse, du siècle de l’affiche et de la publicité naissante – la presse, elle, après avoir investi le bois de bout, emploiera aussi la litho pour le développement des illustrés en couleurs.
 
 
 
Ne pas confondre…
Printer in colours et print colourer !
Dans les plus jeunes âges de la gravure, et avant même qu’on ne s’attaque au métal, les images étaient colorisées a posteriori. Une intervention supplémentaire venait ajouter quelques tons à l’épreuve, en dépit de ce que cette dernière n’avait pas été pensée à ces effets. D’ailleurs ce n’étaient pas les mêmes mains qui opéraient. Les mises en couleurs étaient dispensées « à la chaine » pour les gravures qui circulaient au début de manière autonome en dehors du livre. Parfois même les propriétaires de l’image coloriaient eux-mêmes !
 
Au temps des premières images imprimées, on apportait la couleur a posteriori. On enluminait aussi les gravures dans les mêmes termes que les lettrines ou les illustrations en marges… Ci-dessus, le Portement de croix, gravure en criblé et coloriée. Atelier de la Passion Stöger, 1450-1460, Bavière. Un document tiré du catalogue de la très belle exposition sur les origines de l’estampe en Europe du nord, au Louvre entre octobre 2013 et janvier 2014. On pouvait y voir, entre autres, le fameux Bois Protat…
Cette façon – certes dans d’autres proportions – existe encore et les quelques ateliers de gravure traditionnels (des exemples anglais que j’ai découvert) sont toujours dotés de coloristes qui rehaussent l’épreuve à la main par-dessus le noir imprimé. Aussi, il s’agit de bien distinguer les deux façons comme les deux métiers. Car la colorisation était une véritable spécialité qui se pratiquait au-delà de l’atelier de l’imprimeur comme une prestation à part entière et de tradition elle aussi. Ainsi, il n’était pas rare que l’exercice se transmette de père en fils à l’instar de ce que l’on observe dans les autres métiers de la chaine du livre.
Notre gravure ne procède pas de cette technique mais est bel et bien mise en couleur pour l’impression. Anthony Dyson rapporte la description de Julia Frankau, romancière anglaise et spécialiste par passion de la gravure, dans son ouvrage Pictures to print ; on y comprend mieux toute la complexité du procédé « à la poupée ». Julia Frankau distingue deux opérations. Une première consiste dans l’application d’une teinte « neutre » et qui sera suffisamment nettoyée pour préparer le fond, comme un jus primaire en quelque sorte. Ensuite on peut distribuer depuis une palette complète les couleurs à la poupée dans toutes les nuances utiles à figurer le sujet. L’auteure d’insister sur l’extrême précision de l’opération. En effet, on imagine  combien le nettoyage des excédents doit être délicat particulièrement à l’endroit des contacts de teintes contrastées. Enfin, le coloriste doit travailler simultanément sur deux plans, l’un chauffé, l’autre froid pour en alternance fluidifier ou refroidir l’ouvrage.
Ça n’y change rien, mais c’est encore plus beau quand on le sait.
 
 

Le berger de la bergère...
Bonne lecture, Enjoy ! et à bientôt.
 
 *
 
Un grand merci à Anthony Dyson
pour son aimable soutien, ses précieuses lumières
et la gracieuse permission pour ses illustrations.
 
Anthony Dyson PhD RE, maître graveur et docteur en histoire de l’art, est membre de la Royal Society of painter-printmakers depuis 2003. Son travail, justement reconnu, a intégré différentes collections publiques et privées à Londres et au-delà en Europe comme aux Étas-Unis. Professeur à l’Université de Londres, il est également auteur de différentes publications sur le sujet. Pour découvrir le travail d’Anthony Dyson :

 
*
 
Les deux livres d’Anthony Dyson les plus précieux pour ce post (on lui compte d’autres publications et participations). Le premier est le produit de sa thèse sur le métier et le marché de la gravure au XIXè siècle fondé sur l’étude de la firme Thomas Ross & Son. Pour l’anecdote, l’ouvrage a été composé par les étudiants de Reading ce qui ajoute encore à la haute valeur d’estime pour ce bel ouvrage. Le second propose un aperçu des techniques récentes parfois combinées et renseigne la scène artistique contemporaine. Un glossaire bien utile complète l’œuvre.
 
1. Picture to print. The nineteenth-century engraving trade, Farrand Press, Londres, 1984.

2. Printmakers’ secrets, A & C Black Publishers, Londres, 2009.
 
  

 

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