Lucrezia, Mode 2 et Bando, TCA. Détail. Paris 1985.
Un petit retour sur ma jeunesse (fantasmée) dans les ghettos
du 9.3 avec l’expo Street Art à l’Espace Electra ; l’occasion de sortir de
son étagère un livre parmi les plus essentiels de la « littérature »
spécialisée dans le graffiti…
Non, je n’ai pas vraiment « grandi dans ça » comme disait Freddy K, regretté membre
du Klub des 7. J’ai poussé dans une enclave moyenne-bourgeoise de la proche
banlieue nord-est de paris. J’ai tout de même goutté dès mon plus jeune âge les
murs qui bordaient la ligne 5 – comme ceux du canal de l’Ourcq – après Bobigny
avant que la rame ne plonge vers Pantin. Alors forcément, les œuvres et
extraits qui peuplent l’exposition actuelle de la fondation EdF me parlent
comme je porte toujours en alternance mes Puma Suede (sans fat laces quand même)
et Adidas campus.
N’allez pas non plus alerter la maréchaussée, je n’ai jamais
rien posé en vandale – pas plus que sur un terrain autorisé d’ailleurs – c’eut
été un comble tant mon père a usé son bleu, devenu ensuite vert, à retaper les
matériels roulants de la Régie Autonome des Transports Parisiens. Et oui, bien
que mon papa entretenait plus
particulièrement les bus 134, 146, 147, 234, 247, 347, [ respiration ] , je
suis un « enfant du métro » ; c’est du moins comme ça que je
partais en colonie de vacances l’été. Mais les images qui me viennent
d’échappés clandestines dans les couloirs de l’underground ressortent d’une
séquence dramatique du film Beat Street.
L’électrocution de Ramon dans une tragique poursuite sur les rails entre deux
stations du Bronx devait me marquer durablement – je l’ai vu bien jeune, peut-être
même avant d’esquisser mes premiers lettrages avec effet relief au feutre à
gouache argenté…
Mais ma petite madeleine de l’expo c’est ce livre dont le
dos carré a bien séché ces 25 dernières années et qui mérite sa minute de
gloire pour faire partie des ouvrages retenus comme ayant participé au
rayonnement de cet art aérosol:
Si je n’en possède qu’un, je pense en fait à deux livres en particulier et dont le vecteur commun est le photographe Henri Chalfant à qui on doit aussi la co-production du documentaire Style wars, en 1983. Le premier, que je découvrais d’ailleurs avant le second mais quelques années après sa parution, c’est Subway art. Martha Cooper, co-auteure avec Chalfant est aujourd’hui encore célébrée dans le milieu comme une actrice majeure de la « vulgarisation » du Graffiti. Subway art parait en 1984 et se concentre sur les métros newyorkais, l’un des supports premiers de l’émergence des tags dans la grosse pomme.
En 1987, Chalfant s’adjoint le concours de James Prigoff, un autre photographe, pour élargir cette fois le projet éditorial à l’exportation du graffiti en Europe et dans le monde : c’est Spraycan Art qui parait chez Thames & Hudson. Le mien est un quatrième tirage de 1990 sans aucun ajout. Je me souviens l’avoir choisi à l’époque à la FNAC des Halles, ce qui en fait un produit définitivement hip hop ! J’écoutais alors la Formule secrète de Rockin’Squat, l’album Authentik (ma préférence) ou alors les Tamtams de l’Afrique de la Planète Mars… Les Bulls allaient gagner le premier titre de champion d’une série de trois. On cousait des fausses écharpes Burberry sur le côté des jeans et, pour moi, le plus beau blouson starter était celui des 49ers.
Des pages intérieures de Spraycan Art. Ce n'est pas pour son design qu'on en parle...
Revenons à
l’édition. Le premier titre important, semble-t-il, est The faith of graffiti, paru en 1973 – soit 10 ans avant Subway art –, et réédité en 2009. Il est
présenté dans l’expo à côté d’une édition néerlandaise. Et c’est pertinent. En
effet, si Claudio Bruni est le
premier à exposer les artistes newyorkais à Rome en 1978, le gros événement en
Europe est l’exposition du musée Boymans-van-Beuningen à Rotterdam en 1983. Les
néophytes du vieux continent y découvrent alors des artistes réunis pour avoir
déjà dépassé la seule pratique illicite et dont les travaux ont accédé aux
galeries newyorkaises. Futura 2000 reste aujourd’hui l’un des plus célèbres
d’entre eux…
L'édition originale et une édition néerlandaise à ses côtés.
Ainsi, ces expressions originelles newyorkaises envahissent toute l’Europe dans le milieu des années 80, y compris en France. Julien Malland dans Kapital distingue pour l’Hexagone les années 1989 à 91 comme la maturité du genre avec une deuxième génération de graffeurs (in Kapital, un an de graffiti à Paris, éditions Alternatives, Paris, 2000.)
Il faut bien-sûr faire la part des choses entre la promotion de l’art du graffiti par les critiques et les photographes (je parle davantage de ces derniers) à travers les parutions et événements et la diffusion de la discipline en elle-même ; pour ça, les graffeurs n’ont eu besoin de personne. Les américains ont voyagé pour exporter leurs démarches dans des régions qui les avaient parfois initiés de façon endémique, notamment en Espagne et en Hollande. Ce sont là deux temporalités sensiblement différentes. Ces moments restent malgré tout relativement concomitants.
Dans l’exposition, la vitrine historique présentent d’autres publications : catalogues d’expo, flyers, magazines dont un numéro d’Esquire alors dirigé par Jean-Paul Goude, dont l’illustration en première de couv’ est restée fameuse, et encore d’autres livres au design parfois un peu suranné. Mais dans leurs tirages et leur aura, Subway art et Spraycan art restent des classiques fondateurs. Pas tant dans leur forme – bien que la photo est superbe – que dans leur contribution à la connaissance d’un phénomène important qui va considérablement influencer l’art… Et le graphisme !
Côté
Expo…
Des traces…
Les tous
premiers signes du graffiti sont
attribuées à Cornbread à Philadelphie à la toute fin des 60’s. C’est ensuite à
New York dans les années 70 que la chose se développe et rapidement sur les
métros qui relient le Bronx à Brooklyn. Les « pièces »
qu’on admet aujourd’hui comme références ont été réalisées au début des années
80. Ce sont elles qui, malgré tout, fondent les styles les plus « old
school » et « wild ». Cependant, il faut bien considérer, outre
la relative précarité des premières expressions, le manque d’enregistrements
tels ceux qui jalonnent l’exposition. Tant et si bien qu’à l’instar des Land
workers (ceux du Land Art), c’est souvent aujourd’hui la trace filmée qui
témoigne de l’œuvre réputée éphémère. On observe même un renversement quand cet
enregistrement devient purement fictionnel comme le vrai-faux film pirate
proposé dans le parcours de l’expo et réalisé par l’artiste Zeus (ou ZEVS), dûment cagoulé et
chapeauté dans les galeries du Louvre en 1999. Celui-ci fantasme sur un
massacre de certaines icones du musée sans – fort heureusement – passer
véritablement à l’acte. Le grand et toujours mystérieux Banksi franchira lui le pas en piratant – sans toutefois dégrader –
les collections de la National Gallery, du British et du Natural History Museum
de Londres. Ceci étant dit, on peut toujours cultiver quelques réserves à
l’endroit de l’authenticité, des doutes que ne dissipe absolument pas le très
ambigu Faites le mur sorti en 2010.
CornBread, l'un des tous premiers writers avec Cool Earl se distingua notamment en taggant un éléphant au zoo de Philadelphie pour prouver à la presse qui l'avait donné pour mort le confondant avec un gangster homonyme tué par balle qu'il était bien vivant. C'était en 1971. De quoi choquer le WWF longtemps avant Wim Delvoye et Banksi!
Les qualités de ses défauts...
Pour avoir connu récemment de formidables expositions à l’Espace Electra notamment le design et le vivant il y a un an (ou deux ?) ou encore la dernière exposition sur la lumière soutenue par Vitra, cette nouvelle présentation peut passer pour moins consistante. C’est que le sujet se prête sans doute moins à la passerelle avec le domaine du lieu hôte : les déploiements technologiques liés à la Fée Électricité – faut-il rappeler que c’est la Fondation EdF qui accueille ? Les expositions évoquées au dessus étaient force d’interrogation quant aux enjeux de la création dans leur grande valeur prospective, tout en ménageant un juste rapport à l’histoire moderne et aux créations des dernières décades. Ici, le programme est peut-être plus accessible et populaire, sans être pour autant moins séduisant. Mais il est vrai que la catalyse ou encore la polarisation (je ne sais pas vraiment de quoi je parle) n’ont somme toute que peu de choses à voir avec la projection de peinture en aérosol ou encore le collage sur parpaing enduit. Ou pas. Qu’à cela ne tienne, il y a tout de même quelques ponts. Le commissariat d’exposition a tenu à placer une « attraction » à chaque étage de l’espace. Ces installations, toutes interactives permettent de raccrocher le thème aux préoccupations habituelles de la Fondation EdF.
En entrant, on découvre un curieux mur noir sur lequel on peut peindre à l’aide d’un pinceau humide. L’eau, comme bon conducteur, fait contact dans ce circuit géant et allume, à l’endroit du passage de l’outil des led réparties sur toute la surface du dispositif. Ainsi, la trace éclairée, plus ou moins large et qui traduit aussi les coulures et éclaboussures s’éteindra quand l’eau s’évaporera, coupant ainsi le circuit électrique. C’est le Water Light Graffiti d’Antonin Fourneau.
Image :
thebackpackerz.com On peut y lire une critique mitigée sur l’expo…
À
l’étage, une cabine obscure permet de s’initier au light painting à l’aide
d’une petite torche à diode. On intervient par-dessus son propre portrait
pendant quelque seconde pour ensuite envoyer son œuvre via Internet. Mais la
démonstration n’est pas des plus spectaculaires. J’ai pensé à une autre
activité proposée, elle, à la Cité des Sciences et de l’Industrie dans la Cité
des Enfants côté 2-7 ans – cette partie est encore mieux conçue que celle des
5-12 ans. J’y ai emmené mes chers petits récemment et ils ont pu dessiner sur
un mur à l’aide de stylet géant selon, je suppose, un principe
électromagnétique. C’était, en l’occurrence, autrement plus probant pour les
enfants. Car ce sont bien eux les plus intéressés par les dispositifs de
l’Espace Electra. Ce sont eux, encore, qui squattent la troisième animation, Picturae, un système interactif conçu
par Patrick Suchet qui a associé un
vidéoprojecteur à une bombe (comme les commandes de ces consoles de jeu qui
vous font bosser votre karaoké) pour s’exercer au pochoir sur un joli mur
virtuel. Des animations qui réjouiront, donc, les jeunes publics, ce que je ne
critiquerai pas, bien au contraire, tant ces dispositifs ludiques et d’éveil
sont attractifs et pédagogiques.
Enfin, la
dimension de réseau est prise en compte, au-delà des exemples de démarches
récentes tel cet artiste qui utilise les QR code pour tisser sa toile, par le
catalogue virtuel de l’exposition. Celui-ci est proposé sous la forme d’une
appli téléchargeable mais dont on peut jouir aussi sur des bornes (grands
écrans tactiles) dans l’espace d’exposition. Et heureusement! Car la chose
n’est dispo que via l’appstore de la marque à la pomme et exclut ainsi tous les
utilisateurs de système d’exploitation Androïd. Ceux dont je suis. Mais,
finalement, on n’y trouve que quelques fiches monographiques complémentaires et
rapidement on est dirigé sur Google
ou sur le site Fatcap et ses archives
autrement plus complètes. L’habillage de l’application, d’une épure aux
antipodes des murs gras et sales des stations du Bronx (c’est une idée),
n’apporte pas grand-chose côté design graphique. Mais l’évocation de nouvelles
dimensions du street art au-delà des manifestations peintes ou collées est
consommée malgré tout.
Au-delà de
tout ça, mes réserves sont plus celles de l’amateur critique qui trouvera
toujours quelque chose à redire quant aux contenus disciplinaires, ce qui devient
parfaitement idiot quand on finit par oublier le propos comme les champs annoncés
et assumés par la programmation ;
Spectre large…
C’est le problème quand on pose l’expression « street-art » – le terme « graffiti » est finalement plus borné –, des limites ou de leur relative absence. Même le dénominateur urbain est contesté par les Arbrorigènes d’Ernest Pignon Ernest qui, dans l’exposition, endosse la paternité de l’art dans la rue en France. Les seules limites, donc, sont celles de la programmation de l’expo qui brasse tout de même une grande variété de média et de supports des plus conventionnels (peinture et collage) aux plus originaux – je reste bluffé par le Cloud Tagging de Ron English dans le ciel de New-York. Enfin, on l’a dit, les formes dématérialisées sont aussi abordées.
Alors, on
pourra, sans fin et en vain, lister les grands absents – et selon quels
critères ? Actu oblige, j’ai pensé à M.
Chat dont les joyeux félins posés à Châtelet en mai dernier lui ont valu
tout récemment quelques démêlés avec le Palais de Justice et la sympathie, à
deux pas, de la Mairie de Paris tant son œuvre vivante est quasi patrimoniale
déjà. Bref, relever les figures manquantes ne sert à rien. C’est pour ça que je
le fais d’ailleurs.
J’avais
quand même quelques frustrations en quittant l’espace Electra. J’ai réalisé
avec un peu de recul – donc quelques heures plus tard –, que ce n’était pas
blâmable au regard de la promesse de l’exposition et de son honnêteté. Car
c’est une manifestation honnête. C’est que, tout excité et pétri de nostalgie,
je n’avais pas vu certains exemples attendus de post-graffiti, de ces artistes
et créateurs qui s’expriment au croisement du graff et d’autres domaines comme
le design graphique. Je suis assez fan, par exemple, du travail de Via Grafik. Ces allemands s’expriment
sur de multiples terrains en abordant l’affiche comme le mur, qu’il soit
intérieur ou public et peuvent aussi extruder leurs intentions pour qu’elles
accèdent à la sculpture voire à l’architecture. C’est une déformation
professionnelle, sans doute, que de chercher ce qui, dans le graff et le street
art en général se retrouve dans le design. Mais c’est sortir aussi des champs
de l’espace public (ou plutôt rentrer ?) En effet, dès lors qu’elles se
développent dans les niches du graphisme et de l’édition, les formes libres du
graffiti perdent ainsi leur biotope originel. Aussi ces expressions n’avaient
pas leur place sous l’intitulé de l’exposition. Il faudra donc attendre un
nouveau prétexte pour nous répandre sur ces formes du post graffiti qui abandonne
la rue pour accéder à l’imprimé.
En attendant, quelques jalons cinématographiques, trop peu évoqués dans l’expo et qui ont participé comme les ouvrages célébrés au dessus à la connaissance du genre dans le monde :
1. Wild Style de Charlie Ahearn, 1982.
2. Style Wars, Tony Silver et Henry Chalfant, 1983.
3. Beat Street de Stan Lathan, 1984.
Parfois, ça a un peu vieilli, mais ces trois films, dans l’ordre de sortie, sont le décor des débats et joutes esthétiques qui animèrent New York à l’aube des années 80. J’ai déjà évoqué Beat Street plus haut. Style Wars et Wild Style sont les deux autres piliers de cette histoire et de sa diffusion mondiale. Le premier, co-produit par Tony Silver et Henry Chalfant fut même primé à Sundance. On retrouve dans ces films documentaires ou semi-fictionnels les vrais acteurs de la scène graffiti de l’époque – et j’en oublierai forcément – : Lee Quinones (acteur dans Beat Street), Lady Pink, Seen, Zephyr, Revolt, Daze… Ce sont donc les fondamentaux.
Pour vous
sevrer en douceur de ces visions enivrantes ou donner une bande son à mon
article, ces deux propositions musicales en relais :
Si The Message de Grand Master Flash est connu de tous, on ne connait que trop peu ces premiers sets contemporains de
l’agglomérat des différentes disciplines constitutives du hip hop. L’expo
revient sur le concert New York City Rap du
bataclan en 1982 mais c’est surtout au rayonnement d’Afrika Bambaataa sous nos
latitudes que l’on doit l’épanouissement du rap en France avec notamment l'expansion de la Zulu Nation (relayée par Dee Nasty...)
Un leaflet substanciel
soutient le double album avec l’environnement graphique de l’époque choisie.
Il faut
pourtant distinguer les premières manifestations du graff du mouvement hip hop.
Ces relations ne sont pas si naturelles que ça tant les pionniers newyorkais du
tag dans les années 70 n’étaient pas si communautaristes. Ils ne l’étaient pas
plus dans leur appartenance ethnique que dans leurs « niches »
musicales ou stylistiques. Dans ce sens, on peut trouver les origines du graff
en certains endroits d’Europe plutôt dans le mouvement punk (voir Nicholas Ganz, Planète Graffiti, Pyramyd, Paris, 2004-05). Aussi le hip hop se
serait associé au graff a posteriori. Ce dernier n’avait lui d’autre couleur
que strictement territoriale, à l’échelle du bloc, de la rue, voire, pour les
premiers blazes, le numéro même de tel immeuble (ex : Taki 183 de l’adresse même de ce writer de la première heure…) Il
n’en reste pas moins qu’il est assez difficile aujourd’hui de dissocier les
différentes disciplines du hip hop, dont la danse fait aussi partie. Il faut
pour ça dépasser le graff pour élargir à toutes les dimensions du street art.
Autrement,
pour compléter les éclairages sur la naissance du DJing et le distinguer du MCing
au sein des différents faisceaux du hip hop, le documentaire Scratch de Doug Pray en 2001 ou, à défaut, la bande originale parue en 2002 et
qui revient, depuis le fabuleux Rock it
d’Herbie Hancock et Grand Mixer DXT en 1984 sur l’histoire
du turntablism. Excellent.
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