Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

mardi 4 novembre 2014

J’en place une pour le hip hop !


Lucrezia, Mode 2 et Bando, TCA. Détail. Paris 1985.



Un petit retour sur ma jeunesse (fantasmée) dans les ghettos du 9.3 avec l’expo Street Art à l’Espace Electra ; l’occasion de sortir de son étagère un livre parmi les plus essentiels de la « littérature » spécialisée dans le graffiti…






Non, je n’ai pas vraiment « grandi dans ça » comme disait Freddy K, regretté membre du Klub des 7. J’ai poussé dans une enclave moyenne-bourgeoise de la proche banlieue nord-est de paris. J’ai tout de même goutté dès mon plus jeune âge les murs qui bordaient la ligne 5 – comme ceux du canal de l’Ourcq – après Bobigny avant que la rame ne plonge vers Pantin. Alors forcément, les œuvres et extraits qui peuplent l’exposition actuelle de la fondation EdF me parlent comme je porte toujours en alternance mes Puma Suede (sans fat laces quand même) et Adidas campus.


N’allez pas non plus alerter la maréchaussée, je n’ai jamais rien posé en vandale – pas plus que sur un terrain autorisé d’ailleurs – c’eut été un comble tant mon père a usé son bleu, devenu ensuite vert, à retaper les matériels roulants de la Régie Autonome des Transports Parisiens. Et oui, bien que mon papa entretenait  plus particulièrement les bus 134, 146, 147, 234, 247, 347, [ respiration ] , je suis un « enfant du métro » ; c’est du moins comme ça que je partais en colonie de vacances l’été. Mais les images qui me viennent d’échappés clandestines dans les couloirs de l’underground ressortent d’une séquence dramatique du film Beat Street. L’électrocution de Ramon dans une tragique poursuite sur les rails entre deux stations du Bronx devait me marquer durablement – je l’ai vu bien jeune, peut-être même avant d’esquisser mes premiers lettrages avec effet relief au feutre à gouache argenté…




Mais ma petite madeleine de l’expo c’est ce livre dont le dos carré a bien séché ces 25 dernières années et qui mérite sa minute de gloire pour faire partie des ouvrages retenus comme ayant participé au rayonnement de cet art aérosol:




Si je n’en possède qu’un, je pense en fait à deux livres en particulier et dont le vecteur commun est le photographe Henri Chalfant à qui on doit aussi la co-production du documentaire Style wars, en 1983. Le premier, que je découvrais d’ailleurs avant le second mais quelques années après sa parution, c’est Subway art. Martha Cooper, co-auteure avec Chalfant est aujourd’hui encore célébrée dans le milieu comme une actrice majeure de la « vulgarisation » du Graffiti. Subway art parait en 1984 et se concentre sur les métros newyorkais, l’un des supports premiers de l’émergence des tags dans la grosse pomme.






En 1987, Chalfant s’adjoint le concours de James Prigoff, un autre photographe, pour élargir cette fois le projet éditorial à l’exportation du graffiti en Europe et dans le monde : c’est Spraycan Art qui parait chez Thames & Hudson. Le mien est un quatrième tirage de 1990 sans aucun ajout. Je me souviens l’avoir choisi à l’époque à la FNAC des Halles, ce qui en fait un produit définitivement hip hop ! J’écoutais alors la Formule secrète de Rockin’Squat, l’album Authentik (ma préférence) ou alors les Tamtams de l’Afrique de la Planète Mars… Les Bulls allaient gagner le premier titre de champion d’une série de trois. On cousait des fausses écharpes Burberry  sur le côté des jeans et, pour moi, le plus beau blouson starter était celui des 49ers.








Des pages intérieures de Spraycan Art. Ce n'est pas pour son design qu'on en parle...



Revenons à l’édition. Le premier titre important, semble-t-il, est The faith of graffiti, paru en 1973 – soit 10 ans avant Subway art –, et réédité en 2009. Il est présenté dans l’expo à côté d’une édition néerlandaise. Et c’est pertinent. En effet, si Claudio Bruni est le premier à exposer les artistes newyorkais à Rome en 1978, le gros événement en Europe est l’exposition du musée Boymans-van-Beuningen à Rotterdam en 1983. Les néophytes du vieux continent y découvrent alors des artistes réunis pour avoir déjà dépassé la seule pratique illicite et dont les travaux ont accédé aux galeries newyorkaises. Futura 2000 reste aujourd’hui l’un des plus célèbres d’entre eux…

 
 
L'édition originale et une édition néerlandaise à ses côtés.
 
Ainsi, ces expressions originelles newyorkaises envahissent toute l’Europe dans le milieu des années 80, y compris en France. Julien Malland dans Kapital distingue pour l’Hexagone les années 1989 à 91 comme la maturité du genre avec une deuxième génération de graffeurs (in Kapital, un an de graffiti à Paris, éditions Alternatives, Paris, 2000.)
Il faut bien-sûr faire la part des choses entre la promotion de l’art du graffiti par les critiques et les photographes (je parle davantage de ces derniers) à travers les parutions et événements et la diffusion de la discipline en elle-même ; pour ça, les graffeurs n’ont eu besoin de personne. Les américains ont voyagé pour exporter leurs démarches dans des régions qui les avaient parfois initiés de façon endémique, notamment en Espagne et en Hollande. Ce sont là deux temporalités sensiblement différentes. Ces moments restent malgré tout relativement concomitants.
Dans l’exposition, la vitrine historique présentent d’autres publications : catalogues d’expo, flyers, magazines dont un numéro d’Esquire alors dirigé par Jean-Paul Goude, dont l’illustration en première de couv’ est restée fameuse, et encore d’autres livres au design parfois un peu suranné. Mais dans leurs tirages et leur aura, Subway art et Spraycan art restent des classiques fondateurs. Pas tant dans leur forme – bien que la photo est superbe – que dans leur contribution à la connaissance d’un phénomène important qui va considérablement influencer l’art… Et le graphisme !
 
 
Côté Expo…
Des traces…
Les tous premiers signes du graffiti  sont attribuées à Cornbread à Philadelphie à la toute fin des 60’s. C’est ensuite à New York dans les années 70 que la chose se développe et rapidement sur les métros qui relient le Bronx à Brooklyn. Les « pièces » qu’on admet aujourd’hui comme références ont été réalisées au début des années 80. Ce sont elles qui, malgré tout, fondent les styles les plus « old school » et « wild ». Cependant, il faut bien considérer, outre la relative précarité des premières expressions, le manque d’enregistrements tels ceux qui jalonnent l’exposition. Tant et si bien qu’à l’instar des Land workers (ceux du Land Art), c’est souvent aujourd’hui la trace filmée qui témoigne de l’œuvre réputée éphémère. On observe même un renversement quand cet enregistrement devient purement fictionnel comme le vrai-faux film pirate proposé dans le parcours de l’expo et réalisé par l’artiste Zeus (ou ZEVS), dûment cagoulé et chapeauté dans les galeries du Louvre en 1999. Celui-ci fantasme sur un massacre de certaines icones du musée sans – fort heureusement – passer véritablement à l’acte. Le grand et toujours mystérieux Banksi franchira lui le pas en piratant – sans toutefois dégrader – les collections de la National Gallery, du British et du Natural History Museum de Londres. Ceci étant dit, on peut toujours cultiver quelques réserves à l’endroit de l’authenticité, des doutes que ne dissipe absolument pas le très ambigu Faites le mur sorti en 2010.
 

CornBread, l'un des tous premiers writers avec Cool Earl se distingua notamment en taggant un éléphant au zoo de Philadelphie pour prouver à la presse qui l'avait donné pour mort le confondant avec un gangster homonyme tué par balle qu'il était bien vivant. C'était en 1971. De quoi choquer le WWF longtemps avant Wim Delvoye et Banksi!
L'exposition, si elle évoque les peintures rupestres de Lascaux, ne relève pas ces premières manifestations qui précèdent pourtant la scène newyorkaise.
 
Les qualités de ses défauts...
Pour avoir connu récemment de formidables expositions à l’Espace Electra notamment le design et le vivant il y a un an (ou deux ?) ou encore la dernière exposition sur la lumière soutenue par Vitra, cette nouvelle présentation peut passer pour moins consistante. C’est que le sujet se prête sans doute moins à la passerelle avec le domaine du lieu hôte : les déploiements technologiques liés à la Fée Électricité – faut-il rappeler que c’est la Fondation EdF qui accueille ? Les expositions évoquées au dessus étaient force d’interrogation quant aux enjeux de la création dans leur grande valeur prospective, tout en ménageant un juste rapport à l’histoire moderne et aux créations des dernières décades. Ici, le programme est peut-être plus accessible et populaire, sans être pour autant moins séduisant. Mais il est vrai que la catalyse ou encore la polarisation (je ne sais pas vraiment de quoi je parle) n’ont somme toute que peu de choses à voir avec la projection de peinture en aérosol ou encore le collage sur parpaing enduit. Ou pas. Qu’à cela ne tienne, il y a tout de même quelques ponts. Le commissariat d’exposition a tenu à placer une « attraction » à chaque étage de l’espace. Ces installations, toutes interactives permettent de raccrocher le thème aux préoccupations habituelles de la Fondation EdF.
En entrant, on découvre un curieux mur noir sur lequel on peut peindre à l’aide d’un pinceau humide. L’eau, comme bon conducteur, fait contact dans ce circuit géant et allume, à l’endroit du passage de l’outil des led réparties sur toute la surface du dispositif. Ainsi, la trace éclairée, plus ou moins large et qui traduit aussi les coulures et éclaboussures s’éteindra quand l’eau s’évaporera, coupant ainsi le circuit électrique. C’est le Water Light Graffiti d’Antonin Fourneau.
 
 
Image : thebackpackerz.com   On peut y lire une critique mitigée sur l’expo…
À l’étage, une cabine obscure permet de s’initier au light painting à l’aide d’une petite torche à diode. On intervient par-dessus son propre portrait pendant quelque seconde pour ensuite envoyer son œuvre via Internet. Mais la démonstration n’est pas des plus spectaculaires. J’ai pensé à une autre activité proposée, elle, à la Cité des Sciences et de l’Industrie dans la Cité des Enfants côté 2-7 ans – cette partie est encore mieux conçue que celle des 5-12 ans. J’y ai emmené mes chers petits récemment et ils ont pu dessiner sur un mur à l’aide de stylet géant selon, je suppose, un principe électromagnétique. C’était, en l’occurrence, autrement plus probant pour les enfants. Car ce sont bien eux les plus intéressés par les dispositifs de l’Espace Electra. Ce sont eux, encore, qui squattent la troisième animation, Picturae, un système interactif conçu par Patrick Suchet qui a associé un vidéoprojecteur à une bombe (comme les commandes de ces consoles de jeu qui vous font bosser votre karaoké) pour s’exercer au pochoir sur un joli mur virtuel. Des animations qui réjouiront, donc, les jeunes publics, ce que je ne critiquerai pas, bien au contraire, tant ces dispositifs ludiques et d’éveil sont attractifs et pédagogiques.
Enfin, la dimension de réseau est prise en compte, au-delà des exemples de démarches récentes tel cet artiste qui utilise les QR code pour tisser sa toile, par le catalogue virtuel de l’exposition. Celui-ci est proposé sous la forme d’une appli téléchargeable mais dont on peut jouir aussi sur des bornes (grands écrans tactiles) dans l’espace d’exposition. Et heureusement! Car la chose n’est dispo que via l’appstore de la marque à la pomme et exclut ainsi tous les utilisateurs de système d’exploitation Androïd. Ceux dont je suis. Mais, finalement, on n’y trouve que quelques fiches monographiques complémentaires et rapidement on est dirigé sur Google ou sur le site Fatcap et ses archives autrement plus complètes. L’habillage de l’application, d’une épure aux antipodes des murs gras et sales des stations du Bronx (c’est une idée), n’apporte pas grand-chose côté design graphique. Mais l’évocation de nouvelles dimensions du street art au-delà des manifestations peintes ou collées est consommée malgré tout.
Au-delà de tout ça, mes réserves sont plus celles de l’amateur critique qui trouvera toujours quelque chose à redire quant aux contenus disciplinaires, ce qui devient parfaitement idiot quand on finit par oublier le propos comme les champs annoncés et assumés par la programmation ;
 
 
Spectre large…
C’est le problème quand on pose l’expression « street-art » –  le terme « graffiti » est finalement plus borné –, des limites ou de leur relative absence. Même le dénominateur urbain est contesté par les Arbrorigènes d’Ernest Pignon Ernest qui, dans l’exposition, endosse la paternité de l’art dans la rue en France. Les seules limites, donc, sont celles de la programmation de l’expo qui brasse tout de même une grande variété de média et de supports des plus conventionnels (peinture et collage) aux plus originaux – je reste bluffé par le Cloud Tagging de Ron English dans le ciel de New-York. Enfin, on l’a dit, les formes dématérialisées sont aussi abordées.
 
 
Alors, on pourra, sans fin et en vain, lister les grands absents – et selon quels critères ? Actu oblige, j’ai pensé à M. Chat dont les joyeux félins posés à Châtelet en mai dernier lui ont valu tout récemment quelques démêlés avec le Palais de Justice et la sympathie, à deux pas, de la Mairie de Paris tant son œuvre vivante est quasi patrimoniale déjà. Bref, relever les figures manquantes ne sert à rien. C’est pour ça que je le fais d’ailleurs.
J’avais quand même quelques frustrations en quittant l’espace Electra. J’ai réalisé avec un peu de recul – donc quelques heures plus tard –, que ce n’était pas blâmable au regard de la promesse de l’exposition et de son honnêteté. Car c’est une manifestation honnête. C’est que, tout excité et pétri de nostalgie, je n’avais pas vu certains exemples attendus de post-graffiti, de ces artistes et créateurs qui s’expriment au croisement du graff et d’autres domaines comme le design graphique. Je suis assez fan, par exemple, du travail de Via Grafik. Ces allemands s’expriment sur de multiples terrains en abordant l’affiche comme le mur, qu’il soit intérieur ou public et peuvent aussi extruder leurs intentions pour qu’elles accèdent à la sculpture voire à l’architecture. C’est une déformation professionnelle, sans doute, que de chercher ce qui, dans le graff et le street art en général se retrouve dans le design. Mais c’est sortir aussi des champs de l’espace public (ou plutôt rentrer ?) En effet, dès lors qu’elles se développent dans les niches du graphisme et de l’édition, les formes libres du graffiti perdent ainsi leur biotope originel. Aussi ces expressions n’avaient pas leur place sous l’intitulé de l’exposition. Il faudra donc attendre un nouveau prétexte pour nous répandre sur ces formes du post graffiti qui abandonne la rue pour accéder à l’imprimé.
 
Un document intéressant dans le parcours, des confidences croisées de Shephard Farey (=OBEY, ci-dessus) et JR qui reviennent sur les valeurs et enjeux de leurs expressions...
 
 
 
En attendant, quelques jalons cinématographiques, trop peu évoqués dans l’expo et qui ont participé comme les ouvrages célébrés au dessus à la connaissance du genre dans le monde :
 
1. Wild Style de Charlie Ahearn, 1982.
2. Style Wars, Tony Silver et Henry Chalfant, 1983.
3. Beat Street de Stan Lathan, 1984.
 
Parfois, ça a un peu vieilli, mais ces trois films, dans l’ordre de sortie, sont le décor des débats et joutes esthétiques qui animèrent New York à l’aube des années 80. J’ai déjà évoqué Beat Street plus haut. Style Wars et Wild Style sont les deux autres piliers de cette histoire et de sa diffusion mondiale. Le premier, co-produit par Tony Silver et Henry Chalfant fut même primé à Sundance. On retrouve dans ces films documentaires ou semi-fictionnels les vrais acteurs de la scène graffiti de l’époque – et j’en oublierai forcément – : Lee Quinones (acteur dans Beat Street), Lady Pink, Seen, Zephyr, Revolt, Daze… Ce sont donc les fondamentaux.
 
 
 
Pour vous sevrer en douceur de ces visions enivrantes ou donner une bande son à mon article, ces deux propositions musicales en relais :
 
 
Big apple rappin', the early days of hip-hop culture in new York city 1979-1982. Soul Jazz Records, Londres, 2006.
Si The Message de Grand Master Flash est connu de tous, on ne connait que trop peu ces premiers sets contemporains de l’agglomérat des différentes disciplines constitutives du hip hop. L’expo revient sur le concert New York City Rap du bataclan en 1982 mais c’est surtout au rayonnement d’Afrika Bambaataa sous nos latitudes que l’on doit l’épanouissement du rap en France avec notamment l'expansion de la Zulu Nation (relayée par Dee Nasty...)
 

 
Un leaflet substanciel soutient le double album avec l’environnement graphique de l’époque choisie.
Il faut pourtant distinguer les premières manifestations du graff du mouvement hip hop. Ces relations ne sont pas si naturelles que ça tant les pionniers newyorkais du tag dans les années 70 n’étaient pas si communautaristes. Ils ne l’étaient pas plus dans leur appartenance ethnique que dans leurs « niches » musicales ou stylistiques. Dans ce sens, on peut trouver les origines du graff en certains endroits d’Europe plutôt dans le mouvement punk (voir Nicholas Ganz, Planète Graffiti, Pyramyd, Paris, 2004-05). Aussi le hip hop se serait associé au graff a posteriori. Ce dernier n’avait lui d’autre couleur que strictement territoriale, à l’échelle du bloc, de la rue, voire, pour les premiers blazes, le numéro même de tel immeuble (ex : Taki 183 de l’adresse même de ce writer de la première heure…) Il n’en reste pas moins qu’il est assez difficile aujourd’hui de dissocier les différentes disciplines du hip hop, dont la danse fait aussi partie. Il faut pour ça dépasser le graff pour élargir à toutes les dimensions du street art.
Autrement, pour compléter les éclairages sur la naissance du DJing et le distinguer du MCing au sein des différents faisceaux du hip hop, le documentaire Scratch de Doug Pray en 2001 ou, à défaut, la bande originale parue en 2002 et qui revient, depuis le fabuleux Rock it d’Herbie Hancock et Grand Mixer DXT en 1984 sur l’histoire du turntablism. Excellent.
 
 
YO !
 
 

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