Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

dimanche 9 novembre 2014

Du (très bon) goût des lycéens !




C’est sans ironie aucune qu’il faut prendre le titre de ce post mais plutôt se féliciter de ce qu’ont retenu les lycéens associés avec leurs professeurs au prix littéraire Ile-de-France 2014. L’élu parmi huit titres proposés est le drôle de livre de Jacques Rebotier 22, Placards ! et imprimé par l’atelier Æncrages à Baume-les-Dames dans le Doub. Séduit par ce bel objet éditorial je tenais à en relayer la promotion. Et de vous faire part de mes échanges avec l’auteur qui m’a accordé de son temps – riche donc précieux – pour partager cette aventure littéraire à la croisée des genres…


 


Il me faut d’abord rendre grâce à mes collègues du CDI qui ont eu, comme les électeurs inspirés, le bon goût de mettre en valeur ce beau livre sans quoi je l’aurais peut-être manqué.

Il faut encore reconnaitre que j’ai d’abord été accroché – déformation professionnelle – par les atours graphiques du bouquin. C’est en effet un vrai produit de typo qui a excité ma curiosité pour l’atelier Æncrages, petite maison d’édition qui réalise et produit des livres d’artistes et affiches pressées (voire reliées) à demeure sur des machines et des savoirs qui participent de la préservation du patrimoine de l’Imprimerie. Distribués et collés à la main (ou presque) les cahiers sont imprimés tout à la fois en caractère de bois, au plomb et en Linotype pour les plus petits corps de texte. Tant et si bien qu’on peut apprécier le foulage comme demeurent aussi certains aléas de l’encrage typo ; ça cause ! L’encrage et les couleurs ont étés justement l’un des points auxquels tenait l’auteur qui, par ailleurs, a accordé une grande liberté à l’imprimeur dans la « transformation imprimée » de ses textes. C’est, entre autres, à propos du rapport de l’auteur à l’imprimeur que je voulais interroger les partenaires de cette belle réalisation.

J’ai d’abord eu Roland Chopard, à Baume-les-Dame que j’appelais dans l’idée d’en savoir plus sur les relations – et j’y reviendrai plus loin – des textes composés dans la chose imprimée avec les textes lus (à voix haute s’entend). Je me suis vite intéressé à la part de l’auteur dans l’élaboration du livre au regard de son projet, que je devais mieux comprendre ensuite, d’en tenir des lectures, voire de le jouer. Sans ruiner non plus mes premières spéculations, le maître des lieux (l’atelier Æncrages) me dit d’abord combien il avait été libre jouissant de toute la confiance de l’auteur pour mettre l’œuvre en pages. Il y avait bien cette contrainte, de fond comme de sens, de réunir non pas des doubles pages en regard mais des « affiches » qui prirent donc la forme de triptyques ; un pli alternant toujours dans le livre avec une page « sèche ». Aussi faut-il basculer l’ouvrage pour lire les affiches dépliées. J’appris plus tard que leur nombre avait évolué ; de quelques poèmes originels on était passé à 22, nombre signifiant dans l’imaginaire populaire. Jacques Rebotier me confiait qu’on avait d’abord évoqué le portfolio pour de grands formats autonomes tant les formes du livre « classique » ne correspondaient pas au travail de l’auteur. Celui-ci a d’ailleurs fait rouler aussi des vraies affiches pour un affichage dans la rue. Ainsi, le produit 22, Placards ! est un heureux compromis entre le vœu de l’écrivain et le projet de l’imprimeur acteur, donc, à part entière de l’expérience.
 


Après m’être pâmé sur ces jolies pages foulées aux caractères mobiles (ou en lignes blocs), j’ai enfin accédé au travail de Jacques Rebotier dont je n’avais découvert qu’une petite part des talents comme auteur, créateur polyvalent, poète mais surtout homme de théâtre. Il aura fallu que je découvre des extraits vidéo des lectures Out of placard, mise en scène, en voix et en sons des poèmes en affiche.

 
Je n’ai pu apprécier sur la toile que deux combinaisons « conteur-musicien » mais les associations ont été plus nombreuses encore. Ce sont des rencontres chaque fois originales et qui permettent aussi, dans le partage des expressions, une certaine improvisation et dans la plus grande authenticité. J’ai trouvé dans le duo avec Edward Perraud, multi-percussionniste, les correspondances les plus séduisantes. Un autre extrait disponible et filmé dans les locaux de Æncrage rapproche l’auteur et un guitariste qui, même en jouant de la Gibson SG à l’archet – « à la guitare impromptue », tel que l’annonçait Jacques Rebotier –, ne dégage pas, mais ce n’est que mon goût, les mêmes interrelations qu’avec le batteur.



Découvrant ces autres formes de 22, Placards !, je me suis alors demandé si les affiches dont on attend qu’elles soient vues devaient (ou pouvaient) aussi être lues voire dites et jouées. Le format imprimé puis plié et relié, ce « crossover » typographique appelle ces questions – et d’autres – que j’ai pu poser à l’auteur, quant à cette œuvre aux moments multi-, voire paralinguistique.


 

Mais la première question que je devais finalement ne plus lui poser était celle de la part de l’imprimeur et réciproquement de l’intervention de l’auteur dans la réalisation de ce projet – question déjà évoquée plus haut. C’est donc Roland Chopard qui, le premier, me révélait la genèse du livre. Il y avait déjà eu des antécédents ; l’imprimerie participe à différents événements qui célèbrent la poésie contemporaine dans le Doubs notamment. Aussi, l’exercice de transfert dans les formes et supports de l’impression typographique de la poésie créative de Jacques Rebotier avait été consommé déjà. Mais pour les 22 placards il s’agissait d’une autre ambition encore ; réunir cette somme en un recueil. Comme je l’ai dit plus haut, le format de l’affiche devait survivre à la contrainte de l’assemblage dans une couverture. L’affiche – et c’est bien tout le sens de l’œuvre – était une condition sine qua none. Jacques Rebotier de me confier peu après que le support, comme le genre, lui est cher et familier, et qu’il l’expérimente même dans des dimensions pour affichage dans l’espace public.

Pour en revenir à la relation entre l’auteur et l’imprimeur, ce dernier a pu jouir d’une grande liberté donc ; liberté acquise dans une relation de confiance collaborative. Jacques Rebotier devait ensuite détailler un peu le process et les navettes d’épreuves. Entre autres dimensions, l’auteur s’est intéressé de près à la couleur tant il est remarquable que l’encrage des formes contribue au rythme des textes, à leur « musique » aussi. Mais, en termes de choix typographiques (les formes de caractères s’entend), Jacques Rebotier confie avoir laissé « sa part au graphiste ». Ce n’est pourtant pas faute d’une réelle culture de l’affiche mais, reconnaissant sans doute l’expertise de l’imprimeur dans sa partie, l’auteur lui a laissé dispenser les formes et participer donc à l’œuvre créative. J’y ai vu une image du libraire, au sens où on l’entendait avant que ne se dissocient tous les métiers de l’édition, la typographie et l’imprimerie, quand le développement de contenus comme leur mise en forme se développaient comme un moment complet, fut-il segmenté en termes strictement logistiques et convoquant différents artisans. 22, Placards ! est donc une œuvre produit d’un riche échange et pas l’exécution sur cahier des charges d’un sous-traitant par trop servile. Les deux parties ici associées partagent donc ce bel acte créatif.

Après avoir interrogé l’auteur sur les choix éclectiques des formes de caractères, je voulais en savoir un peu plus sur la ponctuation dans ces suites de déclamations parfois bruyantes. Et notamment la fonction d’agent rythmique – au regard aussi de la succession de formes de caractères hétérogènes, et pour notre plus grand plaisir. L’une des réponses de Jacques Rebotier est l’épure ; la ponctuation est selon lui, à tel endroit, accessoire. Par ailleurs, le grand nombre de capitales, parfois même en alternance avec les bas-de-casse participent pour beaucoup aux différentes figures de crescendo et ruptures. Selon l’auteur, les points d’exclamation s’annulent par la force de l’accumulation aussi on peut faire l’économie de ces signes. Il s’agit surtout de laisser une grande liberté à l’oralité, l’interprétation. Comme Jacques Rebotier ne dit jamais le texte de la même manière – et nous de le lire aussi comme on l’entend –, une ponctuation trop directive aurait sans doute fermé le champ des possibles interprétations qu’autorise la douce absurdité de ces curieuses déclarations.

 
Revenant sur cette question de l’impression pour que la chose soit lue et/ou vue, l’auteur confirme que ça dépend. Évidemment. Les jeux visuels pèsent tout autant que les jeux de mots. Si les expressions écrites, telles de véritables joutes loufoques sont chargées tout à la fois de poésie mais aussi d’humour (de drôlerie !) et surtout de sens – sous couvert de non-sens parfois –, les formes participent à part égale au spectacle et au plaisir qui n’est pas seulement littéraire.

Jacques Rebotier a développé à ce moment son propos sur les changements d’échelles, pas tant celles des corps de caractères que les échelles du texte. La première, celle du texte en lui-même, son sens. Ensuite les phrases puis le mot et enfin la lettre. Ces différents degrés d’approche sont appréhendés simultanément dans l’œuvre. Parfois la lettre se distingue dans le mot – quitte à disparaitre à l’occasion. Le mot dans la phrase, par sa forme singulière, tel décalage. Les phrases dans la composition, par leur alternance, leurs coupures mais encore leur justification. Ces multiples pistes concourent dans une joyeuse cacophonie à la puissance des expressions.  


 
L’auteur permet d’ailleurs – pour le lecteur comme pour lui quand il dit son texte – qu’on conjugue les distances ; que tantôt on embrasse « largement » le texte puis qu’on s’approche pour aller vers une micro lecture. Et comme ils sont lus – de près comme de loin –, les textes peuvent être dits d’abord de loin pour qu’ensuite on s’approche (le « lecteur public ») du spectateur. C’est aussi là le passage du texte à plat à l’adresse théâtrale. Ainsi, il est admis qu’on rompe les distances généralement convenues à la découverte de l’affiche. Et cela va avec la dimension orale, celle de la lecture à voix haute et de son partage. Et là, Jacques Rebotier revient à l’affiche comme une expression qui est donnée (abandonnée) à un public non captif, un public dans l’espace. Pas celui qui est seul, dans un rapport autrement intime (et choisi ?) avec son livre.

Un certain côté « anonyme » semble intéresser aussi l’auteur. Jacques Rebotier évoque alors Descartes et une correspondance – que je crois avoir retrouvée (?) dans une des Remarques de René Descartes sur un certain placard imprimé aux Pays-Bas vers la fin de l’année 1647 (in Œuvres de Descartes, tome dixième par Victor Cousin chez F. G. Levrault à Paris, 1825. Source books.google) – où le philosophe se plaint d’un placard calomnieux en ce que sa diffusion, et donc son audience, sont autrement pernicieuses qu’un autre document tout aussi injurieux mais imprimé dans un support différent. Jacques Rebotier emploie alors l’image de la bouteille à la mer à propos de l’affiche et dans le sens d’une appropriation libre par tel public et qui échappe forcément à l’auteur. On l’a dit plus haut, certains Placards ont été tirés à l’initiative de l’auteur pour connaitre aussi cette diffusion dans la rue et ce rapport tout particulier au récepteur.


 

Bref, c’est bien la liberté qui préside au rapport à l’œuvre. La liberté des mots – on peut le lire. Celle du lecteur, qui a tous loisirs de « lire » (et/ou de voir, d’entendre) comme il le souhaite. Enfin, la liberté de l’auteur, et c’est bien normal, de dire et redire ses Placards d’une manière chaque fois renouvelée, toujours singulière, s’octroyant – et de droit ! – la possibilité de refaire (et défaire) comme son propre interprète le texte imprimé.


 
 
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Un grand merci à Roland Chopard et Jacques Rebotier pour ces conversations aussi nourrissantes que plaisantes et qui m’ont permis de mieux apprécier encore leur superbe travail.

 
 
Plus d'infos et de curiosités sur l'auteur et la compagnie voQue:

 
« Le langage de la science tend à l'univocité. Il sens unique.
Le langage de la poésie caresse chaque mot dans le sens du carrefour de sens.
Plurivoque, é(qui)voque.
Et la musique donc ?
Infinivoque ? Nullivoque ?
Voque. »

 

Jacques Rebotier, Le désordre du langage 1

 
... et le travail de l'atelier Æncrages à Baume-les-Dames:
 
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Un petit coucou à mes collègues prof-docs qui proposent tout ça aux élèves.
Et merci à elles aussi.


 

 
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N.-B. : pas familier avec l’exercice de l’interview – et surtout pas malin de ne pas l’avoir enregistré –, je relate les échanges que j’ai eu comme je peux, à partir de notes, en tachant de conserver l’authenticité des mots tenus par mes interlocuteurs. Puissent-ils y retrouver leurs confidences sans entorses. Dans le cas contraire, je leur présente avant réparation mes plus plates excuses.

Cet article est le produit d’entretiens téléphoniques réalisés début novembre 2014.

 

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