C’était en substance la teneur des vœux que j’adressais
plus tristement qu’à l’habitude la
semaine dernière : imprimer, c’est plus que jamais résister. Je ressortais
alors de ma bibliothèque un portfolio recueil de dessins réunis en 1978 par la
CGT et la FSM pour la solidarité aux grévistes de Chaix. Entre autres grands
noms du dessin de presse, Wolinski et Honoré avaient donné une de leurs planches
tant ce combat tenait à cœur de tous les acteurs gravitant autour de la
profession. C’est pourtant un autre dessin que j’ai retenu ici parmi les 85 contributions
à cette opération de soutien :
Jean-Pierre
Lacroux était auteur, dessinateur et typographe. Outre son œuvre dessiné,
il a laissé un lexique de la typographie française accessible en ligne : Orthotypographie, Orthographe &
Typographie françaises, Dictionnaire raisonné. lien.
Evidemment, le contexte n’était pas celui qui
continue de nous bouleverser depuis quelques jours. Mais ce dessin en
particulier, et en relation avec ce que j’étais justement en train d’encrer ma
première composition typographique quand des abrutis fanatiques s’attaquaient à
notre liberté, résonne autrement. Comme d’ailleurs la nouvelle une de Charlie – vivant – est un acte de résistance.
Et ces dessinateurs géniaux ne sont-ils pas morts en résistants ?
Résistants au politiquement correct, aux doctrines les plus abrutissantes, à la
connerie. Défenseur de nos valeurs et du droit à la liberté d’expression. Serviteur
de la presse et de toute son histoire. Même quand ils pétaient à table.
Pour mémoire et pour l’histoire de l’imprimerie, la lutte des travailleurs de l’imprimerie
Chaix devait rester comme l’un des mouvements sociaux les plus longs de ces
dernières décades. En effet, après une première grève en 1974 sur fond de
restructuration du groupe Néogravure alors propriétaire de Chaix, les
imprimeurs audoniens obtiennent des accords garantissant le maintien de l’outil
de travail ainsi que le rapatriement de trop nombreux travaux d’impressions
délocalisés à l’étranger.
Quelques mois plus tard, en 1975, des manœuvres d’abord
confidentielles et qui convoquent tout à la fois le gouvernement de Giscard et
la banque Paribas, reviennent sur les accords de novembre 74. Un plan de
licenciement est présenté prévoyant 410 suppressions d'emploi sur un effectif
de 640 personnes. Ce qui est alors pris – et sans doute à juste titre – comme
une trahison par les partenaires sociaux conduit à un dépôt de bilan en
décembre 1975.
Le conflit à Chaix durera jusqu’en 1980 et sera
soutenu par la municipalité de Saint-Ouen où l’atelier fut construit en 1880.
Cette période verra de nombreuses occupations d’imprimeries partout en France.
En effet, le rapport Lecat publié en
1974 prévoit alors la disparition de 15000 à 20000 emplois dans les métiers du
livre. Le mouvement de solidarité avec l’imprimerie Chaix restera comme l’un
des plus spectaculaires de la profession.
Après 68 mois de conflit, l’imprimerie réouvrira
en 1981. La nouvelle structure après rachat aux enchères des locaux et de l’outil
de production emploiera 47 salariés.
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