Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

dimanche 8 mai 2016

À la ! À la ! À la !…

Habituellement, je préfère les images de chocolat. Mais là, cette petite chromo pour une marque de chicorée a très justement droit de cité!


Ce vendredi, à Saran, on fêtait la Saint-Jean. L’occasion pour les typos et les imprimeurs de se retrouver ; pour les petits nouveaux, les minots comme moi, de rencontrer des personnages passionnants, gardiens d’un patrimoine formidable que je me propose de rapporter…



 
Là, on fait moins son malin, hein ? Bof, même pas mal ! Le bain d’huile bouillante proposé par les romains fut pris comme rafraichissant ; de quoi  énerver encore un peu plus les Latins, au moins jusqu’à Constantin… Ici, un missel de 1370 conservé à Avignon. Très belle rotunda, au passage...

 
Peut-être la date vous semble curieuse pour peu que vous fêtiez le Baptiste en juin ou encore l’Evangéliste en hiver. Mais là, c’est l’épisode à la Porte Latine que l’on prend pour référence, de ce martyr que l’apôtre aurait connu à l’entrée de Rome sous Domitien. De cette aventure, il est devenu saint-patron des tonneliers puis des imprimeurs, et, croyez-moi, il y a quelques relations entre ces deux professions !!! Enfin, il m’aura fallu une bonne journée de diète pour récupérer du fameux À la qu’on prend sur le marbre. D’ailleurs on l’a pris au soleil ce pot de la fraternité et pas dans l’atelier où il pouvait se tenir auparavant. Le À la, c’est tout à la fois une chanson et un rituel. Quand il vint à l’esprit des Révolutionnaires d’interdire les réunions corporatistes sur les lieux de travail, les ouvriers – typographes en l’occurrence – prirent l’habitude de se réunir à tour de rôle chez les uns ou les autres pour continuer de partager telle collation fédératrice. Ainsi, on buvait à la santé de celui qui accueillait. L’interdiction levée, quelques décades plus tard, le pli était pris et le À la put se tenir sur le marbre de l’atelier, grand plan de travail central où transitaient les formes imposées. Et, manifestement, ces gens s’entrainaient parfois dès potron minet en prévision de l’apéro de fin de journée !!! Mais au-delà des anecdotes et autres records du genre, tous étaient d’abord d’excellents ouvriers, passionnés par la noble tâche qui était la leur.

Alors je les ai rencontrés, eux et leurs histoires. Et, d’emblée, le fraternel prend le pas sur le corporatiste. Non pas que l’attachement à certaines valeurs et certaines lois ne se soit affaibli mais en lieu et place du secret le plus sectaire, j’ai trouvé parmi eux un accueil et un sens du partage rassurant pour moi qui n’ai pas fait mes classes. D’ailleurs, je ne les aurai jamais à la hauteur de ces gars qui ont tous transformé leur apprentissage en validant quelques années de pratiques avant de connaître de prestigieuses maisons ; à qui L’Huma, Le Monde, l’Imprimerie Nationale, dont il y avait certains représentants. Des typos, linotypistes, imprimeurs, fondeurs, graveurs mais encore deviseurs, correcteurs, traducteurs ; j’en passe.

Et c’est important de partager. Important et un peu pressé aussi. Certains de ces camarades tiennent ici et là des ateliers-musées. Souvent je parle de Saran, de Rebais. J’ai découvert un nouveau point de chute à Jouy-le-Moutier, quelques équipements conservés chez les uns ou les autres, jusqu’à Genève. Mais tous ces amis de la typo peinent à trouver des relais, et pour cause, avec le métier disparu, ce sont les savoirs qui vont se perdre. Et quels savoirs ! Ce ne sont pas moins de 500 ans d’Histoire, un demi-siècle de l’Humanité, au-delà du seul patrimoine artisanal et industriel que l’on va oublier, quand ce n’est pas déjà fait. C’est ce dans quoi je m’investis. Mais mon effort, qui correspond à mon apprentissage en cours et « à distance », est bien modeste au regard de l’immensité et de la richesse de ces connaissances… C’est ce qui me fait marcher. Alors quel plaisir, quelle chance de rencontrer ces nouveaux copains !
 
 

Un mot sur l’asso…

Il faut quand même célébrer nos hôtes ; Jean-Paul Deschamps et LES Tachot – je parle souvent de Frédéric mais il y a aussi Madame et même leur fille qui prolonge pour une génération de mieux dans les arts graphiques ! Dès le matin, Jean-Paul est aux petits soins de la Monotype quand il ne la quitte pas pour sa fondeuse Supra ; cette dernière assure pour les plus gros corps, la Mono sèche au-delà du corps 12. Pendant que l’ancien chef d’atelier de l’Imprimerie Nationale bosse, lui, Fredéric Tachot accueille, en râlant toujours un peu, ses compagnons. Ils sont tous les deux à la tête d’une collection vivante comptant des témoins des différents moments de l’impression typo depuis le moule à arçon, en passant par les composeuses de toutes les espèces jusqu’à l’aquarium maison où bulle un précipité bleuâtre et qui réalise d’authentiques clichés galvano ! Dans les locaux de l’ancienne école réside donc l’association Format Typographique qui réunissait ce vendredi une grosse soixantaine de typos – des hommes et des femmes, pas des plombs.
Pour mieux réaliser le rayonnement des tôliers du lieu, il y a ce livre (ci-dessous), restituant différents entretiens réalisés à l’époque où ils investirent Saran, en 2006-2007. Frédéric et Jean-Paul reviennent sur le métier perdu tout en s’appuyant sur leurs extraordinaires parcours. Ne vous gênez pas ; c'est toujours bon pour l’association !
 
 
(Frédéric Tachot)


Enfin, pour finir de tenter certains, parce qu’après tout, l’atelier est ouvert et bien vivant, quelques photos volées – comme un âne, j’avais l’appareil sur moi mais pas de carte mémoire ; vive le smartphone! Je n’ai pris que ces quelques formes qui trainaient sur les rangs. Des trésors, il en a plein d’autres. Prenez ça comme un teasing de l’art et des métiers du typographe à découvrir auprès de ceux – les derniers – qui l’ont porté au plus haut degré de maîtrise.
 

Ça parlera peut-être aux étudiants et à mes collègues stagiaires qui rencontrèrent déjà quelque peine à serrer trois lignes d’Univers en corps 12 sur une justif’ de 17…   Enjoy :   




 
Ou pour les scientifiques qui trouveraient ces facéties trop fantaisistes:



 
 
*

Nous n’avons pas su partager la table avant d’avoir pensé ensemble aux absents qui, partis trop vite, auraient pourtant dû être de l’assemblée.
Qu’il me soit donc permis de rendre encore hommage à mon collègue Philippe Boulard et de penser à Marie et toute sa famille. Cette petite reine composée et pressée par Ulysse, 6 ans, imprimeur en herbe ; en imaginant que là-haut, ça grimpe, forcément... 
 
  

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