…Topos tombe à l’eau.
Oh, je ne me risquerais pas trop dans ce passionnant domaine de la topologie en mathématiques pour ne retenir du terme que la dimension de catégorisation ; de ce qui fait qu’un tore est toujours un tore – même à moitié pardonné – qu’il prenne la forme d’un donut glacé au sucre, d’une bouée de plage ou d’une chambre à air de roue de vélo même pliée en huit autour des épaule de Louison Bobet. De cette même description qui fait d’un angle pointé vers le haut et barré d’une traverse un ‘A’, évolution de la tête schématisée d’un bovidé dans le primitif aleph phénicien, et qui l’est en toute circonstance, en Futura, en Clarendon comme en Didot.
À
cet endroit, la proposition que j’ai découverte sous forme d’annonce presse en
feuilletant mon hebdomadaire cette semaine donne à réflechir… en mode comptoir,
en partageant tel petit AOC Costière, parce qu’à Nîmes, on n’est pas exactement
en Provence. Aussi, en face du troquet des Arènes un grand machin fait de l’ombre
aux ancestrales arcades. C’est le nouveau Musée de la romanité. Un
parallélépipède drapé d’une belle « toge
plissée » comme aime à la décrire son architecte : Elisabeth de
Portzamparc, épouse de son mari. Derrière les déchirures savamment dessinées de
cette peau de verre, les collections d’archéologie et notamment les derniers
vestiges de domus exhumés en 2006.
L'encart qui a titillé ma curiosité suivi d'une image pour teaser sur le site du Club de la Presse, cellule de communication du département du Gard. Là, au moins on a de belles incises (avec un petit accent manuaire) qui fleurent bon l’amphithéâtre Flavien !
Si le service com et presse de la Mairie annonce un vaste
plan stratégique jusqu’à la capitale de notre royaume et bien au-delà, moi, j’ai
découvert ça dans mon journal alors que j’ai pris le métro tout au long de la
semaine dernière pour corriger des copies dans le XVIIIè. Car l’événement
c’est justement ce week-end avec l’inauguration en grande pompe du nouveau
musée.
Musée de la romanité. C’est quoi ça la romanité ? On
dirait un barbarisme, et les romains ils aimaient pas ça les barbares… ‘Romanité’
c’est, à la fois un mot très générique qui marque le caractère romain – c'est-à-dire
de la civilisation romaine antique – et, par métonymie, l’emprise de Rome en
des termes plus géostratégiques. Dans le spectre des collections du musée, les
bornes précèdent et dépassent une romanité balisée par ses seules conquêtes
puis sa dispersion (ou décadence ?) Avant que les latins ne colonisent la
place, d’autres y étaient (des celtes) et les suivants (là, c’est plus panaché)
ont aussi droit de cité dans le parcours muséographique qui intègre le Moyen-Âge. Ceci étant,
cette dernière période peut parfois prétendre à la romanité par son caractère ‘roman’.
Soit.
Si
latine soit-elle par essence, cette romanité là est forcément très empreinte de
panhellénisme. Est-ce un élément qui préside à la création des signes qui nous
intéressent ? Si l’intégration du legs d’Alexandre dans ce que sera la
grandeur romaine – comme d’ailleurs notre modèle est fondamentalement gallo(+)romain
– faisait partie du cahier des charges, alors pourquoi pas.
L'alphabet étrusque sur ce petit vase en forme de coq. Un curieux système dont on appréhende très bien les signes sans qu'on ne sache à ce jour décrypter la langue qu'il retranscrivait !
Un souvenir de Grèce rapporté aux enfants par leurs grands-parents : ΚΥΡΙΑ ΓΕΛΑΣΤΟΥΛΑ (KYRIA GELASTOYLA – avec un ‘G’ dur), Madame ‘Bonheur’ dans la version française. Dans le dictionnaire de Bailly c’est plutôt Madame ‘rieuse’, mais l’histoire finit pareil…
On retrouve bien ici les formes Γ + Ε + Λ + Α, soient gamma, epsilon, lambda et alpha ; ce qui correspondrait aux évolutions latines G + E + L + A.
*
Par
contre, en filigrane de romanité il y a ‘latinité’, un autre gros mot qui
fonctionne comme le précédent. Ce caractère exclut de fait les précédents étrusques
comme il distinguerait encore les signes osques contemporains des romains mais
pas latins (il fallait absolument caser ce tout petit jeu de mots).
L'alphabet étrusque sur ce petit vase en forme de coq. Un curieux système dont on appréhende très bien les signes sans qu'on ne sache à ce jour décrypter la langue qu'il retranscrivait !
Or,
ici on a un gros mélange de signes d’inspirations grecque, latine voire étrusque
– on écartera la piste cyrillique qui n’a vraiment rien à voir avec la
choucroute.
Pourquoi
pas, ai-je déjà dit. Et puis, au-delà de ça, la cascade verticale des trois
modules ‘ro’ + ‘m’ + ‘ni’ dans le logo dessine les étages du cirque, imposant
vis-à-vis du musée ou de tel majestueux aqueduc de la région. Ce peut être des
arcs, juste un peu en ruines pour la valeur de reconstitution. C’est un joli
geste.
Tout
ça est très bien sauf que du mélange à la confusion…
Il
y a quelques années, l’étiquette d’un nouveau yaourt fraichement sorti provoqua certaines réactions parmi les observateurs de logo et autres identités
visuelles. Il se trouve qu’un autre produit laitier appartenant exactement au
même segment portait le même nom. Celui-ci, en revanche, ne devait pas être
distribué chez nous. Mais les deux conditionnements se distinguaient
franchement dans leur design.
Le
premier, toujours en rayon, et dont le nom dérive de la marque bien connue à
laquelle il appartient arbore un lettrage évoquant sa nature de yaourt « grec ». On peut le lire ‘Yopa’. Bien. Mais aussi ‘γορα’,
beaucoup plus proche graphiquement, soit quelque chose comme ‘gora’ en latin ce
qui, je crois, ne veut rien dire en grec mais est autrement disgracieux.
C’est
là le problème.
(reconstitution personnelle du logo avec un caractère d'emploi courant. Du latin, du grec... et même le 'sha' cyrillique monté à l'envers pour faire le 'm' !!!)
Dans
notre ‘romanité’, le ‘r’ revet – dans cet ensemble où les capitales dominent –
la géométrie du ‘Γ’, le gamma majuscule. Le ‘A’, s’il a connu dans certains
systèmes d’écriture latine primitifs, notamment dans la capitale rustica une
forme sans barre transversale, fait ici naturellement figure de ‘Λ’, le lambda
grec ; aïeul de notre ‘L’. Enfin le ‘n’, comme une petite arche, pourrait
alors être le ‘Π’ qui, lui, fait ‘P’.
‘GOMLPITÉ’...
WTF ?!?
Le
‘m’ ne nous pose pas tant de problèmes en ce que, justement, sa forme
élémentaire renvoie à sa scripte présentant deux ponts et ne se trouvant pas en
concurrence avec un autre signe. Alors, oui, je reconnais sans problème la
marque de mon téléphone coréen de la gamme Galaxy pour ne pas le nommer alors
que le ‘A’ est lui aussi allégé de sa barre. Mais, dans cet autre cas, c’est la
seule fantaisie dans un système où tous les autres moments sont familiers.
Serait-ce là les limites du jeu ? Dans le mot 'OUVERTURE' (ci-dessus), on préfère le 'R' en capitale romaine au ‘Γ’ tant la rencontre avec le 'T' eut été malheureuse. Ici, les deux versions dans le même mot ajoutent à la confusion générale. Par ailleurs, le 'P' (dans 'OPENING') appartient autant au latin qu'au grec, mais dans la langue des sophistes, il est le 'rho' qui fait Rrrr !
Un souvenir de Grèce rapporté aux enfants par leurs grands-parents : ΚΥΡΙΑ ΓΕΛΑΣΤΟΥΛΑ (KYRIA GELASTOYLA – avec un ‘G’ dur), Madame ‘Bonheur’ dans la version française. Dans le dictionnaire de Bailly c’est plutôt Madame ‘rieuse’, mais l’histoire finit pareil…
On retrouve bien ici les formes Γ + Ε + Λ + Α, soient gamma, epsilon, lambda et alpha ; ce qui correspondrait aux évolutions latines G + E + L + A.
Il ne s’agit pas ici d’un prêche orthodoxe (et/ou en
latin !!!) mais d’une pensée, comme ça.
Dans un essai récent sur Le geste d’écriture et les méthodes d’apprentissage
en cycle 1 et 2, Danièle Dumont soutient qu’il ne faut pas confondre la lettre
et sa forme. Elle y distingue des formes de base ; des « unités »
et leurs dérivés. Il n’y est pas tant question de reconnaissance du signe que
de sa production en phase d’apprentissage. Mais l’idée d’un catalogue de formes
de base (la boucle, le trait/la barre, etc.) est fondamentale dans tout système
réduit ; les alphabets. Les étudiants (les miens) l’éprouvent notamment
quand ils s’initient à la calligraphie par tel ductus avant d’accéder à la
typographie – chapitre dans lequel ils ne vont pas bien loin en termes de
création.
Des extrêmes comme le nouvel alphabet de Wim Crouwel flirtent – voire
s’affranchissent – de ces principes garants de l’intégrité des signes
constitutifs. Ne reste de son ’a’ que deux segments formant un angle à 90°.
Aussi, en dehors de l’ensemble, le signe n’est plus identifiable.
Rien n’interdit la licence créative. L’exercice de
style auquel se livre ci-dessus Jonathan Barnbrook est un beau métissage et qui
ménage pourtant la lecture de son système latin. Les signes peuvent ressortir d’inspirations
grecques, latine, étrusques, souvent dans leurs formes les plus archaïques.
Mais le designer – dont j’adore le travail – cultive aussi la digression et l’irrévérence,
dénonçant dans ses créations l’impérialisme ou l’idolâtrie.
Le mot de la fin pour ceux qui surent résister à la romanité
depuis leur petit village d’Armorique. Là, ils sont en ballade en Grèce pour
les olympiades, ils viennent de s’inscrire à la compétition comme romains,
évidemment. Leurs créateurs : Goscinny le despote et Uderzo le tyran, en
lapidaire dans le texte. Quelques pages auparavant, le ‘Δ’ de despote
était dessiné pour le ‘A’ dans Athènes…
À
défaut d’avoir pu trouver un dossier complet sur ce programme graphique, je n’ai
que les trois affiches qui trainent et les quelques images du site. Y-a-t-il
un alphabet ; je veux dire « en emploi » ? On rencontre des mots
isolés, juste des signes réunis comme pour un one shot et qu’on peut retrouver
en fond parfois derrière des caractères d’une consensuelle neutralité (voire
banalité). Pourtant, si cette création devait revenir au studio que je crois,
ceux-ci dessinent à l’occasion des alphabets participant de l’identité qu’ils créent.
Par ailleurs, on peut voir des caractères "alternate". Le site du musée, lui,
relève semble-t-il d’une autre prestation. Aussi, on n’est pas en présence d’un
déploiement cohérent, intégral, ce qui ne facilite pas l’appréhension de telle
ligne.
Ce cocktail de lettres serait le fait du studio Des Signes à Paris (?) Mais je ne suis
pas sûr de mon coup ; l’identité du musée ne figure pas (encore ?) à
leur vitrine et je ne peux pas les joindre en ce beau week-end de juin. Il est
assez difficile de tracer l’origine de ces formes dans un maelström de
prestations depuis les agences de communication pour la publicité jusqu’aux
petites interventions web, en animation ou rendering, ressortant du projet architectural,
du fonctionnement du lieu ou de la promotion culturelle interne de la ville,
institutionnel, privé… Pas clair.
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