Quelques belles surprises pour la FetNat’, festival d’arts vivants et du
numérique au château de Blandy-les-Tours autour du 14 juillet…
Je fréquente ce bel endroit depuis que
je suis seine-et-marnais ; Blandy se prête bien à l’accueil de
manifestations artistiques contemporaines depuis la biennale Dépays’art également soutenue par le
département en passant par les résidences passées de la Galleria Continua – nos partenaires de Boissy que je salue bien au
passage. Cette fois, c’est un autre format événementiel sur 3 jours qui était
proposé cette semaine comme un « cocktail
de performances artistiques », soient une quinzaine d’attractions du cirque
actuel à l’art numérique, abordant son et image. C’est évidemment cette
dernière dimension qui a retenu tout particulièrement mon attention et deux œuvres
qui méritent qu’on s’y attarde tant elles donnent à réfléchir quant à l’acte
créatif au-delà des seuls champs du design graphique…
D’abord SKRYF – prononcer à la flamande –, un curieux traceur qui dessine
au sable de longues phrase et dont la seule limite est la capacité de son godet
à poudre. Là, le thème était tout choisi ; de belles citations célébrant
la liberté par certains acteurs de la Révolution française et autres écrivains
porteurs de ces grandes valeurs. Mais le dispositif de Gijs van Bon se joue bien de la maxime selon laquelle si les
paroles s’envolent, les écrits restent. En effet, le propos est l’éphémère. Si
l’expérience repose sur la magie des mots, leur trace bien futile s’effacera
comme poussière ; « L’homme, la
nature et le temps passent et les mots s’envolent. Parfois très vite, parfois
lentement. Comme le sable qui nous glisse entre les doigts… » peut-on
lire sur la carte qui présente l’œuvre de l’artiste.
Alors on peut techniquement lui faire
retranscrire ce qu’on veut mais l’empreinte poudrée se donne à la merci des passants
distraits, des enfants dont on sait la capacité à anéantir un solide château de
sable quand c’est celui des autres ! Et puis c’est très bien. Ici, la
sacralisation du verbe est limitée et tout minéral que soit son consommable, SKRYF est l’anti-lapidaire. Il nous
rappelle combien tout est transitoire ; ‘dust to dust’, et d’évoquer ainsi l’un des plus grands genres hollandais
en la nature morte. Ne les connait-on pas, ces bataves, tout à la fois grands
modernes et fiers d’une riche tradition culturelle ! (Cette interprétation
n’engage que moi.)
Cette expérience m’a fait pensé à un
autre dispositif asservi à la commande numérique que je découvrais en 2OO3
(déjà…) à l’expo Signes des écoles d’art
qui se tenait au Centre Pompidou et présentait alors les plus brillants masters
et bachelors des grandes formations de design graphique (on disait encore
Communication Visuelle). Une sélection de travaux hautement prospectifs parmi lesquels
se donnait à voir Hektor, diplôme de
fin d’étude de l’ECAL (Lausanne).
La présentation de son diplôme par Jürg Lehni rapportée ici dans le catalogue de l'exposition Signes des écoles d'art, éditions du Centre Pompidou, Paris 2003. Y sont versés des détails du dispositif qui consiste en une bombe aérosol soutenue par deux câbles lui permettant de se déplacer en abscisse et en ordonnée et embrasser toute la surface à peindre. Un ordinateur complète l'installation pour piloter l'outil choisi pour ses "défauts de maîtrise" en comparaison avec des têtes d'imprimantes réputées infaillibles...
Il y avait dans Hektor
une volonté manifeste de s’affranchir tout à la fois des postures (d’alors ?)
mais aussi des outils, logiciels et leur esthétique vectorielle dominante –
même si toutes les composantes de ce qui allait devenir la Creative Suite d’Adobe
comme les applications de Macromédia étaient associés à la diatribe du jeune créateur
– ; comme une proposition en
réaction, un nouveau « post-quelque
chose », contre des formes et attitudes récurrentes. Tout en intégrant le
numérique et selon une logique foncièrement vectorielle, l’une des motivations
d’Hektor était de « ré-apprendre à construire
des objets réels avec (ses) mains après avoir travaillé presque exclusivement avec
des logiciels (…) » confiait son jeune créateur dans sa présentation
(traduction perso.) C’était surtout l’uniformisation des postures des designers
que Jürg Lehni souhaitait dénoncer, « contre une certaine monoculture dans
le design ». Hektor était tout à la fois une démonstration technologique
(et techniciste) et artisanale ; une heureuse rencontre entre le
traitement numérique et les aléas de l’outil comme de la main du graphiste
plasticien.
Le dispositif de Gijs
van Bon, 12 ans plus tard, est finalement plus modeste, moins « grave »
dans ses aspirations. Est-ce le fait de l’intégration complète de certaines
techniques par les créateurs ? On a pu voir ces dernières années différentes
performances fondées sur la commande numérique. Aussi, une nouvelle proposition
– sans lui retirer aucun mérite ! –
se distinguera dorénavant par son discours poétique, sur un terrain sémantique
et plus tant sur une interrogation aussi profonde qu’au début des années 2000 eu
égard aux postures du designer en présence d’outils et médias aujourd’hui assimilés.
Ou alors, le défi serait à un autre niveau, dans d’autres dimensions ;
elles se renouvellent sans cesse comme les nouveaux canaux et langages…
Paul, lui, peut nous intriguer davantage ! L’œuvre de Patrick Tresset confond un peu plus les frontières entre les média et la/les main(s), ou plutôt les « bras » à la réalisation des images. C’est en effet bien confus. Et pour cause, revenant fréquemment sur ses troubles bipolaires qui lui ôtèrent au début des années 2000 tout goût pour le dessin, l’artiste français demeurant à Londres verse dans une sorte de nouvelle schizophrénie avec Paul, son alter égo cybernétique. Et les Paul se multiplient avec leur propre « personnalité », s’entend une écriture particulière pour chacun des robots qui se distinguent par différentes inflexions, comme des « styles » ou manières originales dans les lignes de codes qui les pilotent. Car ils sont parfaitement autonomes. On est alors tenté de convoquer à cet endroit le fantasme – et qui n’en est plus un – de l’imprimante 3D qui génère son propre clone. C’est à cette hauteur que Paul donne à réfléchir.
Concrètement, Paul capture d’abord une image de son modèle qu’il va
tranquillement figurer sur le papier. Il revient de temps à autre sur le sujet
observé, pour contrôle essentiellement. C’est troublant pour le professeur de
dessin de voir cet élève, à sa table d’écolier, lever «les yeux » pour
vérifier tels points et valider les traits reportés comme des décisions
toujours difficile à prendre – en fait, si le modèle a trop bougé, le robot
reviendra à la première capture mémorisée ; ces pauses marquées
participent du rituel favorisant encore la personnification de la machine. «Quand nous dessinons, le tracé des lignes n'est pas ce qu'il y a de plus
difficile. La difficulté, c'est notre perception du sujet, et la perception du
dessin pendant que nous dessinons» confie Patrick
Tresset dans une interview (www.slate.fr
, décembre 2012). Aussi, l’artiste semble vouloir s’affranchir de la relation
sentimentale (parasite ?) avec son sujet.
Ce qui demeure ambigü, c’est la
« projection » de l’artiste dans Paul — ou l’inverse ? Le
collaborateur de Patrick Tresset qui
animait la performance à Blandy nous confiait que parfois son camarade au
téléphone depuis Londres lui demandait comment étaient « ses »
dessins tel jour. C’est que Paul signe ses dessins de la signature de
Patrick. Et, évidemment, les signatures divergent en fonction du style particulier
de chaque Paul ! On note que Paul est gaucher, comme Patrick…
Toujours
aussi troublant, ce sont les interactions entre Paul et ses spectateurs et tout
spécialement son modèle. Ce dernier, plus encore que les témoins de la
performance, tombe dans une certaine empathie avec le dessinateur. Par
impatience de découvrir sa trombine, dans une certaine tendresse pour le robot « maladroit »
– c’est une expression
consacrée par l’artiste –, la personne
regardée par Paul peut se laisser aller à quelque sorte de sentiment
pour le gentil robot, tellement humain.
Si on revient
à des considérations moins existentielles, Paul soulève de nouvelles questions
de droits, de rapports à l’autorat. Les dessins sont aujourd’hui cotés à
quelques 1000€ mais pour l’instant, les collaborateurs du projet se refusent à
les vendre. Ainsi, se pose le problème du produit de la performance artistique
qui, pour le moment, n’est louée à telle galerie que pour « ce qu’elle est »
et non ce qu’elle génère. Autre point, Paul est fait d’éléments de grandes
séries pour certains provenant d’une plateforme libre. Il demande encore un peu
de maintenance humaine (usure des pièces, remplacement d’élastiques,
renouvellement des stylos…) Mais on pourrait substituer à l’agent un autre
robot ! Reste son « ADN » ; les lignes de codes qui l’animent.
Si ces dernières sont assez complexes, on peut aisément imaginer qu’à défaut de
les cracker, un tiers averti pourrait s’en approcher… avant qu’elles ne soient
partagées voire proposées comme une application dans une nouvelle vie de l’œuvre ?
En attendant,
je me suis contenté d’apprécier la progression des dessins – il y avait 3 Paul
qui dessinaient ce jour là. Les voir poser des premiers repères et monter
doucement les valeurs, pour un tel ou les traits, pour un autre et proposer
finalement des portraits avec des points d’analogie mais franchement différents
dans leur méthode et leur style est assez bluffant. D’autres Paul dessinent
en ce moment à Genève et au Mexique. On pourra les découvrir à Lyon à l’occasion
d’un festival dédié à l’art numérique en octobre prochain.
*
Avec ou sans expo, le château de Blandy vaut le détour ne
serait-ce que pour sa restauration et son archétype franchement médiéval pour contrebalancer,
par exemple, une ballade dans les jardins tout proches de Vaulx-le-Vicomte…
Sortie Châtillon-la Borde sur l’A5.
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