Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

vendredi 14 août 2015

Une copie conforme

 

Mais oui, cette édition est authentique. Ce n’est pas un faux. Mais ce tirage n’est qu’une image, un « cliché ». Enfin, autant de clichés qu’il y a de pages, pour être juste. Un nouveau procédé qui va permettre de rééditer à volonté depuis des formes stéréotypes. Revenons donc sur le développement du clichage par les Didot, illustre famille d’imprimeurs… et inventeurs !
 

 
 

 
Le terme de cliché, qu’on associerait volontiers au procédé photographique, ou naturellement à la photogravure, vient en fait des graveurs de médailles qui utilisaient ce mot pour décrire l’opération de frappe : « clicher ». Par la suite, le cliché décrira toutes sortes de formes imprimantes : galvano, zinc, polymère. On peut même parfois évoquer les « clichés offset » mais la genèse de nos fines plaques d’alu relève plus de la lithographie qui convoque d’autres principes…




 
Si fidèle soit-il, le procédé stéréotype ne peut rendre la même qualité que les types mobiles. D’autant que les petits corps sont privilégiés. Ceci étant, ne boudons pas notre plaisir d’observer les jolies formes de Firmin Didot, plus appréciables dans les quelques pièces de titre qui marquent les œuvres de Boileau. Ces créations, rendues célèbres notamment par le Virgile de Pierre Didot présenté à l’Exposition de 1798, sont alors toutes fraiches. Elles marqueront durablement l’édition du XIXè siècle, et au-delà.
 





Paul Dupont, apprenti chez Firmin Didot, attribue à son formateur l’invention du stéréotype en 1795 dans sa biographie des membres de cette grande dynastie d’imprimeurs en 1853. Plus généralement, on convient de ce que la technique est exploitée par les deux frères et fils de François-Ambroise Didot, Pierre, l’ainé et Firmin. Ces deux là travaillèrent ensemble se partageant les spécialités et les inventions fort nombreuses aussi bien dans le perfectionnement de la presse à un coup que dans la fabrication du papier ou encore la gravure des célèbres types marqueurs identitaires de la famille par Firmin Didot.

Les mentions en titre de mon édition de Boileau confirment en déclarant le « procédé de Firmin Didot ». Le livre est distribué à la fois chez l’un et l’autre des deux frères ; dans l’imprimerie du premier et à la librairie du second. L’imprimerie et la fonderie stéréotype dont l’ouvrage est le produit est à l’enseigne conjointe de Pierre, l’ainé et Firmin. L’édition est datée de l’an VII, soit l’année 1800 – qui selon mes calculs devrait pourtant correspondre à l’an VIII, mais bon, j’ai pas fait la révolution… Les dépôts pour les procédés stéréotypes, c’est l’an VI, à cheval sur 1897 et 1898, je crois… Ils auront tôt fait de le réformer leur foutu calendrier.
 

 


Il y a eu des précédents. En Ecosse puis en Angleterre dès les années 1730. Mais rien de concluant, du moins pas d’exploitation viable. Plus près des Didot, il y a eu le procédé « polytype » des Hoffman père & fils, imprimeurs à Strasbourg. Attention ! ne pas confondre avec la polyamatypie, procédé de fonte des types développé par Henri Didot, cousin issu de germain de l’illustre Firmin. L’imprimerie polytype de Hoffman obtient privilège en 1784 pour imprimer selon cette nouvelle méthode mais le perd très vite pour avoir combiné contre la permission initiale le clichage et le caractère mobile dans ses compositions. Il apparait que ces nouvelles dispositions sont plus ou moins bien accueillies à la fois par la profession qui y voit une menace pour le métier mais aussi par les donneurs de patente ; la jurisprudence restant encore à déterminer. Quoi qu’il en soit, le procédé ne semble pas être aussi pratique que celui qui nous intéresse ici.

Là encore il convient de convoquer aussi un autre acteur, Louis-Etienne Herhan qui dépose en même temps que Firmin Didot son principe mais qui relève d’un tout autre système. Ses résultats sont néanmoins équivalents et tout aussi convaincants. Dans An essay on the origin and progress of stereotype printing (Newcastle, 1820), Thomas Hodgson associe encore Nicolas-Marie Gatteaux qui obtint des droits pour son procédé de “monotypage” à la même époque.

Le procédé de L.-E. Herhan marche à l’envers de celui de Didot. On peut l’observer dans la galerie dédiée du musée des Arts et Métiers – je n’ai malheureusement pas de document équivalent pour le stéréotype de Didot. Herhan eut l’idée de concevoir des caractères mobiles en creux. Ses types sont en fait des frappes de cuivre, telles des matrices mais dont les proportions sont celles des plombs typo, dans leur hauteur. Aussi, la forme est composée et enchâssée « normalement » dans un mandrin suffisamment rehaussé pour recevoir du plomb fondu et donner ainsi son cliché. On voit bien ci-après la compo initiale et la plaque monobloc imprimante :
 
 

 
L’invention de Firmin Didot procède d’un autre principe.

On en trouve une première définition dans le Petit manuel de l’amateur de livres d’Albert Cim, Flammarion, Paris, 1908. On peut lire la même définition dans C. Delon, Histoire d’un livre, dès 1884. À vrai dire l’article rapporté vient du dictionnaire attribué à Etienne Psaume ; Dictionnaire bibliographique ou nouveau manuel du libraire et de l’amateur de livre, à Paris en 1824. Édité sous couvert d’anonymat (par M. P*****), cet ouvrage ne serait en fait qu’un plagiat d’un autre ouvrage de l’imprimeur François-Ignace Fournier – décidemment ces Fournier ; mais combien sont-ils ?… – paru en 1809 et lui-même très inspiré d’un autre titre précédent…

Mais la synthèse la meilleure est sans doute celle du Traité de la typographie d’Henri Fournier à Paris, en 1825 – un ouvrage précieux et dont j’ai déjà imprimé différentes parties pour mes propres ressources.

H. Fournier décrit très simplement le process des Didot. D’abord Firmin Didot va fabriquer des types dans un alliage plus résistant que la combinaison courante de plomb additionné d’antimoine et d'étain. Ces caractères mobiles, un peu plus bas que la normale sont composés et enfermés pour donner telle forme de page. 1. La forme montée est alors enfoncée au balancier dans une plaque de plomb fondu. 2. La matrice créée en creux est à son tour serrée dans un mandrin et abattue sur de la matière en fusion. 3. On sépare le cliché ainsi produit avant le refroidissement complet de cette nouvelle fonte. La forme imprimante est prête ! Du moins, il faut encore la parer ; l’ébarber, lui arranger ses bords en biseau et éliminer le reliquat de matière à l’endroit des blancs de fin de ligne (cadrats). Cette fine plaque est alors montée sur une épaisseur convenable pour la hisser à la hauteur en papier ; elle y est clouée à l’aide de petites pointes. On peut encrer !

Les différentes parures sont recyclées dans une autre opération ; la matière restant précieuse. C’est pour cette raison, développe Fournier, que les clichés sont peu épais, réservés à des formats modestes – il parle de in-18 –, dans lesquels on privilégie du petit texte et des compo serrées. Cette mise en page est effectivement celle de mon Boileau.

 
 


 
Enfin Fournier évoque brièvement la correction des plaques : si certaines coquilles avaient encore pu passer les différents contrôles, on les éliminait à l’emporte pièce pour peu qu’elles soient rares. Trop nombreuses, elles impliquaient alors qu’on reprenne un nouveau cliché.

Une autre source développe les dimensions techniques des opérations du clichage stéréotype par le détail : le Précis sur la stéréotypie du Marquis de Paroy, lui-même développeur du procédé, et qui parait en 1822 par l’Imprimerie stéréotype de Cosson. Mais cet essai est moins vulgarisateur, beaucoup plus techniciste à mon goût que les informations que j’ai choisies au dessus. Cet ouvrage, comme tous ceux que je porte à ma petite étude sont librement – et aisément ! – accessible en ligne.
 

L’intérêt de la stéréotypie est triple (au moins). D’abord il y a l’économie de matière. Mais surtout, le procédé évite une trop longue immobilisation des matériels ; en effet, les caractères mobiles peuvent être redistribués et servir un autre ouvrage une fois les formes clichées. Enfin, on pourra, à l’aide de plusieurs clichages faire rouler plusieurs presses pour un seul titre et c’est là un gain formidable en termes de productivité. Côté édition, les clichés sont aisément archivables pour un retirage postérieur quand il fallait auparavant recomposer la totalité de tel livre pour en ressortir ne serait-ce que quelques centaines !

  

Rapidement, le process s’est amélioré et après avoir essayé différents matériaux, tel le sable, le meilleur appareil s’est trouvé être le papier pour réaliser des moules légers et autrement économes ; c’est le fameux « flan ». Ce nouveau type de moulage permit aussi d’avancer vers le cintrage des clichés pour qu’ils se prêtent aux nouvelles rotatives – notamment les Marinoni qui participèrent des nouvelles cadences de tirage de la presse. En deux mots, le flan est un moule composite, sorte de feuilleté de papier aggloméré à la colle et au kaolin qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne brûle pas au contact du plomb typo dont la température de fusion est suffisamment basse. En gros, on appose sur la compo originelle dument graissée une première feuille de papier au grammage et au grain fins. Celle-ci est appliquée humide à la brosse pour épouser au mieux les reliefs des caractères. On colle et on applique une nouvelle couche, et on renouvelle l’opération en montant en grammage de sorte à finir par une épaisseur de bonne tenue. Le « multi-couche » ainsi gaufré est séché par-dessus sa forme sur une plaque chauffante avant d’être déposé et faire ensuite son office de moule au cliché de plomb. Cette nouvelle invention autrement « plastique » préfigure de nombreuses poursuites dans le clichage, mais ce sont là d’autres histoires…
 
 
Derrière le cliché cintré d’une première du Petit Journal, les flans associés, à peine brunis par la matière fusible. (Musée des Arts et Métiers, Paris.)

 
Sans aucun doute, le principe mécanique du clichage a pu inspirer à Henri Didot, autre inventeur et cousin de Firmin Didot, le système du refouloir pour ces modèles de moules, lesquels sont les ancêtres immédiats des fondeuses  – comme celle de Bruce – qui vont se développer dans le premier tiers du XIXè s. Le premier brevet de Henri Didot date de l’an XIII (1805-1806) ; ici, un facsimilé imprimé en 1989 pour l’INPI ; super document que je montre à l’occasion pour ces planches qui préfigurent aussi la fonte en ligne bloc, autre quête technique de l’imprimerie du grand siècle.
 


 
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Parmi les premières entrées qui m’ont aidé, il y a cet article : https://bibliomab.wordpress.com/2011/09/23/ledition-stereotype/   qui m’a dirigé vers les sources opportunes pour entamer mon complément d’enquête. Merci à son auteur. Retournez-y pour fouiller davantage !

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