Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

mardi 10 février 2015

Police. Part 1.




Profitons de la découverte de cet étrange paquet – que j’ai trouvé dans un lot de casses et matériels de composition acquis tout récemment – pour revenir  sur un terme employé couramment mais loin de son sens originel, celui-ci n’ayant plus vraiment de valeur, passée l’ère du plomb…



POLICE ?

Dans le dictionnaire – le Littré par exemple, réputé vieux – on trouve la définition suivante : une organisation, un système. Puis un ordre, un règlement établi. Et c’est par extension que l’administration en charge de l’exercer en a pris le nom (la police en habit…) Aussi c’est le sens initial qui reste pour décrire un ensemble organisé dans un ordre intelligent, celui de telle forme de caractère dans ses proportions et des « sortes » (= les plombs)  dans leur nombre. 

La jeunesse noire du Missouri ne le sait que trop. Autrement, une preuve de ce que la police n'est pas affaire de forme mais de nombre. Dans cette petite boite, un assortiment d'espaces (des blancs) de la fine au quadrat utiles à la justification de la composition. Ces plombs, sous la "hauteur en papier" des autres caractères n'impriment donc pas. Ils n'auraient aucun style, leur seul dénominateur étant le corps.


Si le sens a changé au regard des évolutions du métier d'imprimeur, la police n’est donc pas affaire de forme mais de nombre. Dans ce sens, le terme revêt une dimension contractuelle; elle est aussi le nombre dans la transaction entre le fondeur et l'imprimeur. 

Une fonte de caractère typographique est proposée dans une proportion liée à l’usage de telle langue; c'est la police. C’est la fréquence d’emploi des différentes lettres qui détermine leur nombre relatif, ainsi une police française compte moins de 'w' qu’une distribution de dialecte anglo-saxon, et ne compte, a priori aucun 'ß', 'Å' ou 'Ñ' et pour cause. Quant à la quantité globale, elle est fonction du travail, s’entend l’œuvre à imprimer. Aussi, les besoins diffèrent qu’il s’agisse d’un ouvrage de labeur (édition) ou de plus modestes travaux de ville (autres documents liés essentiellement au commerce). Le premier usage requière un volume bien supérieur de matériel au regard de la densité et du nombre de pages à composer, soit une police plus fournie.


Avant d'être vendue par le fondeur en nombre, la police était facturée au poids, « au pesant » comme on peut le lire dans Fournier, le jeune. Dans notre cas, c’est le nombre qui donne l’ordre, en l’occurrence celui des 'a', au nombre de 110. Et c’est une « petite » fonte.


La confusion qui a pu se développer à mesure des mutations professionnelles vient d'abord entre les mots police et fonte. Cette dernière décrit un jeu de formes imprimantes dans un corps et une graisse donnés (ex.: le Caravelle en maigre italique dans le corps 10). La police devient alors une famille (complète): Caravelle. Dès lors, les dérives conduisent – la mécanisation et la numérisation aidant – à une acception plus large et de plus en plus floue; aujourd'hui, à propos d'une forme de caractère remarquée sur une affiche: "C'est quoi cette police?", voire le terme "police d'écriture"...


 
Dans son jus d’origine, ce paquet se présentait emballé de papier kraft et cerclé par une étiquette de la firme qui la commercialisait (on y reviendra plus loin). À l’intérieur, les plombs étaient réunis par trois tours de ficelle comme une forme composée en attente d’être serré dans son châssis. Naturellement, en déballant cet étrange paquet, le fil un peu plus lâche qu’à l’époque n’a plus tenu sa fonction et le joli assemblage s’est écroulé lamentablement. Après un week-end passé au coin du feu à remonter l’ensemble, il est présenté ici dans une boite en carton ajustée exprès pour lui (mon œuvre). Ça entame un peu son charme. Evidemment, on aurait plus vite fait de le distribuer dans une casse pour enfin lui donner le baptême de l’encre mais, sans trop penser au grain de maïs orphelin qui pleure seul au fond de sa boîte Cassegrain de ne pas avoir été mangé, j’ai décidé de conserver ces types en l’état. Et puis c’est joli. J’en ai plein d’autres de toute façon.
Prenant pour référence – comme souvent – le Manuel typographique utile aux gens de lettres (…)* et qui propose outre une définition, un tableau à valeur d’exemple pour la distribution d’une police, j’ai eu l’idée suivante. Et n’allez pas croire que je m’ennuie à ce point. L’idée c’est donc de comparer l’assortiment de ma petite police avec le modèle de Fournier développé sur un volume bien supérieur (une police de 100 milliers de lettres pour le caractère romain). Sur un pareil volume je ne me suis pas livré à des jeux de pourcentage. Je n’ai retenu qu’une sélection de caractères. D’abord parce que le modèle de Fournier présente une palette bien supérieure et dans des signes plus rares, des ligatures et autres éléments absents dans mon matériel. Ensuite, et a contrario j’ai écarté les lettres trop peu en usage au milieu du XVIIIè siècle au regard de ce qu’était alors la langue française (somme toute très proche de la notre). Les 'k' et, naturellement les 'w' ont été laissés de côté. Evidemment, j’ai additionné les 's' courts et longs chez Fournier, les derniers n’étant plus du tout en usage aujourd’hui.

Et bien le résultat est assez probant rapporté à ces seuls signes. Si le delta peut paraitre affirmé par endroits, il faut considérer l’alignement de mon outil statistique sur les 'a', proportion quasi équivalente à celle des 'e'. Ainsi, les écarts sont finalement très constants et proposent une courbe analogue (ci-dessous). Quelques exceptions que je ne sais expliquer sur la disproportion des 'p' par exemple. Seule la lettre 'n'  est moins fournie chez moi – toujours en considérant le référent de départ, savoir le 'a'… Même dans les chiffres, on relève une mesure supérieure dans les '1' et '0' des deux côtés.

Enfin, il faut intégrer quelques facteurs expérimentaux – comme disent les collègues de physique-chimie – pour m’accorder une marge d’erreur sur le compte de ces toutes petites choses. Et encore l’échantillon assez maigre, sans faux jeu de mot, de l’objet comparé. Ceci étant, ça colle assez bien !


Pour conclure, on retiendra que la valeur quantitative n'a évidemment plus de sens à l'ère du fichier vectoriel; que les quelques kilo-octets de tel fichier OpenType ne sauraient se comparer au poids (bien réel!!!) d'une casse bien fournie. Dites police comme vous voulez après tout. Mais, sans convoquer encore Camus et sa belle formule sur le "mal-nommer (des) choses", on se sera entendu sur l'histoire du terme, aujourd'hui un peu dépouillé de son sens.
*
 
Une autre forme que je n’aurais pas pu comparer. Adieu Lætitia, encore qu’on l’admet sans la ligature. Mais je peux encore composer tête d’œuf ou trouble œsophagique. C’est moins joli… 



* Pour être complet: Manuel typographique, utile aux gens de lettres, & à ceux qui exercent les différentes parties de l'art de l'imprimerie, par Pierre-Simon Fournier, dit le jeune. L'ouvrage paraitra en 2 tomes (4 étaient initialement projetés par l'auteur) entre 1764 et 1766. Libre de droits, on peut aisément le télécharger (via la Bibliothèque virtuelle de Jacques André, par exemple ici) ou s'en offrir une reproduction papier depuis un scan universitaire en acceptant le massacre des illustrations et une couverture insignifiante proposant un paysage de banque d'image hors de propos.



à suivre, la forme de caractère dans ma police...

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