Maintenant que le paquet est ouvert, regardons de plus près son contenu et revenons sur l’histoire de Caravelle, proposée ici en maigre italique, corps 10. Que les bas-de-casse.
Bon, ce n'est pas là LE Caravelle de la belle police dont on parle (je vous ai dit que je ne voulais pas cassé mon joli assemblage). Celui-ci est un romain, demi-gras. Mais il est fondu dans le même corps 10. Attention, 10 points didots ! Ne cherchez pas la correspondance avec les formes de l’ère numérique ; le point pica l’a emporté et ce dernier est plus petit que la mesure traditionnelle française fondée sur le pied du Roi… de France (0,351 contre 0,376 mm). Reebok taille plus petit que le Coq Sportif ?
D’abord la marque.
FTF pour Fonderie Typographique Française. Agglomérat
de différentes fonderies, la firme fondée au début du XXè siècle est
pilotée dans ses grandes années (50’s et 60’s) par Enric Crous Vidal, grand
typographe d’origine espagnole mais qui fera carrière en France après avoir
fuit la guerre civile. L’étiquette figure d’ailleurs deux de ses créations
phares Paris et Ile-de-France tellement caractéristiques des
années 50, au moins autant que les formes d’Excoffon. Crous Vidal
proposait alors une alternative aux formes de style international réputées
froides et nourrissait encore l’exception française, voire latine.
Pour autant, Caravelle n’est pas né à Champigny
– siège de la fonderie. Et ce n’est pas même son nom. Effectivement, il est né Folio.
Et à quelle époque ! Nous reviendrons immédiatement après sur la période,
et par là la concurrence de Folio, alias Caravelle.
C’est à Frankfort que Folio est donné au monde
de la typographique un beau matin de 1957. Il y a là-bas, entre autres grandes
maisons spécialisées dans la fonte de caractères la Bauersche Gießerei,
vulgairement la fonderie Bauer que l’on connait notamment pour la production de
Futura ou encore de l’un des plus beaux Bodoni sur le marché.
C’est d’ailleurs un autre Bauer, Konrad Friedrich (aucun lien de parenté
avec le fondateur Johann Christian Bauer, mort en 1867) et son compère Walter
Baum qui dessinent Folio. On connait aussi de leur collaboration Fortune
alias Volta sous nos latitudes ; un beau clarendon, brillant
représentant du revival de ce genre dans les 50’s, notamment outre atlantique –
j’en ai un peu en large, à l’occasion…
Ici on a, dans l'ordre: du Folio 3/4 gras, corps 20 puis demi-gras et large (en fin de ligne), c.10. Enfin Caravelle (c'est pareil) maigre corps 8 puis 6. Vous suivez? Et désolé pour l'impression, je débute...
Il ne faut pas attendre bien longtemps pour que les
droits d’exploitation de ce nouveau produit soient acquis par les français de
FTF qui, pour leur marché le rebaptise Caravelle. La
Caravelle est alors un joli avion à réaction destiné aux courts et moyens
courriers et qui fait la gloire de Sud Aviation. Si Mac Douglas et Boeing
auront tôt fait de détrôner notre beau vaisseau, il n’en demeure pas moins un
indice de modernité et de progrès comme premier aéronef à réaction construit en
série. Et puis on leur mettra une bonne pile avec Airbus un peu plus
tard ! Alors si Caravelle (le
caractère d’imprimerie) n’a pas servi les compagnies aériennes de l’époque
(comme a pu le faire le Nord d’Excoffon),
il en est dans un sens le véhicule, du moins il incarne une certaine fierté
industrielle nationale. Ou alors il en profite en termes de marketing.
Caravelle a rencontré malgré tout un important succès notamment dans les domaines industriels et commerciaux participant de l’identité de grandes enseignes populaires dans les arts ménagers, l’ameublement, l’agro-alimentaire, mais encore l’industrie mécanique, la grande distribution, les cosmétiques…
(Source : Corpus typographique français, BM Lyon.)
Côté style, Caravelle est donc une forme inspirée des grotesk allemandes de la toute fin du XIXè siècle, Akzidenz ou Reform en tête. Sa parenté est d’ailleurs plus affirmée encore que dans la célèbre Neue Haas Grotesk, l’une de ses plus terribles concurrentes, on la retrouvera plus loin. Ses traits les plus identifiables sont sur le ‘R’, une variante à queue droite (comme dans les premières grotesk) et plus repérable encore la queue centrée et en crochet sous la capitale ‘Q’, une particularité qu’on retrouve plutôt dans les gothic américaines comme Record ou News par exemple.
L’une des signatures de Folio les plus repérables, sur le ‘Q’. Aujourd’hui disponible chez différentes fonderies numériques, Folio est proposé en book et/ou medium dans une offre de graisses assez réduite. Ces termes sont propres à l’ère numériques; au plomb, on était maigre ou ½ gras, pas « regular ». Aussi, les graisses se déclinaient en ½, ¾ puis gras. Au-delà, c’était « extra ». Le nom Caravelle n’a pas survécu à la disparition du plomb.
Evidemment on compare, pour mieux le distinguer, Caravelle à ses concurrents. Si Akzidenz Grotesk est toujours largement en usage chez les suisses et leurs émules du style international, l’époque voit apparaitre des monstres sacrés dont on sait l’influence sur le modernisme et bien eu delà : Helvetica et Univers. Avant même d’observer ces formes toutes proches, il faut aussi considérer, en France, le goût endémique pour l’Antique Olive, qui n’appartient pas au même genre – il est son propre genre ! – et qui forcement prendra de nombreuses parts, à emploi égal, à Caravelle. Mais dans l’hexagone, il faut compter sur le produit de Deberny et Peignot : l’Univers d’Adrian Frutiger. D’autant que sa conception pour la photocomposition n’empêchera pas ces types de se déployer en plomb et nourrir généreusement les casses des imprimeurs français, pas encore suffisamment équipés. Univers est distribué dès 1957 et dans une large gamme de graisses qui en fait d’emblée un produit souple et complet capable de renseigner de larges usages. Univers parait autrement plus sophistiqué dans son dessin que notre Caravelle. Il est sans doute, au-delà des critiques à l’endroit de sa froideur relevées parfois sur la place française, le plus « humanistique » parmi les concurrents directs examinés ici. Enfin, il faut le dire vite…
Un petit air de déjà-vu tant la présentation sous forme de nomenclature d’Univers nous est familière ! Caravelle se déclinaient à l’origine en 16 versions contre les 21 graisses d’Univers.
(source : www.designwritings.com/ )
Donc Caravelle est un peu plus « primitif ». Formellement plus près d’Helvetica, créé la même année, ce dernier est autrement plus « solide ». Les rapports de Caravelle semblent, à son côté, moins constants ; tantôt plus large, tantôt plus rond quand le module d’Helvetica propose un subtile écrasement de l’ellipse plus régulier. Ils n’en demeurent pas moins les plus proches cousins.
Un peu des deux… Plus petit en hauteur d’x, Folio propose ici un heureux mélange de ses deux cousins. Le contre poinçon plus près d’Helvetica ; la sortie plus tranchée comme Univers (encore que parfois Helvetica propose aussi une sortie coupée court notamment dans les plus fortes graisses.)
Pour être tout à fait complet, il y a aussi Permanent par Karlgeorg Hoefer et commercialisée par Ludwig & Mayer puis Simoncini pour les matrices Linotype. Créée en 1962, cette nouvelle grotesque ne se distingue que peu de la concurrence déjà développée alors. On retrouvera d’ailleurs le fonds Ludwig& Mayer chez les espagnols Neufville comme celui de Bauer et FTF après la fermeture de la fonderie.
Plus près de Folio en termes de date de lancement, et par la firme Intertype (concurrente directe de Linotype) il y Mercator de Dirk Dooijes. Une de mieux...
Plus près de Folio en termes de date de lancement, et par la firme Intertype (concurrente directe de Linotype) il y Mercator de Dirk Dooijes. Une de mieux...
Enfin, de l’autre côté des Alpes il y a Recta d’Aldo Novarese alors directeur artistique de la firme Nebiolo. Ce caractère a des accents plus modernes en ce qu’il convoque les gestes de Paul Renner ou Jacob Erbar autant que les influences de graphisme international. Aussi évoque-t-il déjà l’Avenir de Frutiger (qui naitra bien après). Identifiable entre autre au contre poinçon de son ‘a’ dont la boucle de la panse est convergente et ne laisse pas cette forme de goutte marquée chez Folio ou Helvetica, il est globalement plus géométrisant que ses camarades. J’ignore si Recta a rencontré le succès commercial des autres formes réunies ici…
*
>>> Un maximum d'images de spécimens pour Folio et Caravelle dans l'article de Luc Devroye à propos de Walter Baum. ici.
>>> Autrement, on peut profiter des riches archives du Corpus typographique français du Musée de l'imprimerie de Lyon. ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire