C’était un surnom dont j’avais hérité à Duperré, chez
les Plasticiens de l’Environnement Architectural. Et oui, avant de sombrer dans
le black art où l’on se retrouve aujourd’hui, j’ai fait mes armes en design d’espace,
à l’école du moins, mais pas plus loin. Deux ans extraordinaires ; une
joyeuse bande d’étudiants et de profs perchés au troisième étage de l’école de
la Rue Dupetit-Thouars – quand on était pas planqué dans les caves à
badigeonner de la chaux pour peindre a fresco mais pas très frais avec Bullot.
Mes camarades m’ont donc collé ce sympathique sobriquet
en raison de ma propension à réaliser des modèles de mes projets dont le nombre
étaient inversement proportionnel à la qualité. Elles étaient franchement
pourries mes maquettes ! Tant et si bien que je m’étais fait une
spécialité de les maquiller de papier mâché et les peindre comme une voiture
volée pour rattraper les aléas de mes découpes maladroites et autres
assemblages hasardeux. J’en ai gardé une ou deux. L’une d’entre elles traine
même sur une étagère tout à côté de mon meuble à interlignes.
Un petit trip nostalgique qui aurait bien fait marrer
Vincent, l’architecte. Il était de ceux qui m’avaient affublé du blaze que je
devais d’ailleurs conserver longtemps non sans une certaine fierté...
Un bâtiment qui devait pousser le long du bassin de la
Villette. Projet un peu nul – je parle bien sûr de mon rendu. J’y ai associé
des cadratins comme grouillots pour la photo ; c’est presque la bonne
échelle !
Et puis les 4 jardins carrés. Le (très bon) souvenir de
ce sujet m’en a inspiré quelques variantes que j’ai pu soumettre comme prof ces
dernières années à mes étudiants…
Est-ce que j’étais vraiment meilleur en dessin ? Rien
n’est moins sûr. J'y prenais un autre plaisir. Mais, aujourd’hui ça semble
un peu old fashioned !
Contrairement à moi, lui a poursuivi avec succès à l’issu
du diplôme vers la spécialité qui devait être la nôtre. C’était pas mon truc et
puis on se marrait tellement qu’il fallait être déjà mature pour se projeter un
peu plus loin. Vincent l’était sans doute beaucoup plus que moi. Je commençais
tout juste à trouver des trucs, connaitre certains déclics. Des exercices de
peinture, entre autres, devaient me faire démarrer. J’ai exhumé quelques
portraits : il y David – un de mes meilleurs camarades d’alors –, J.B. que
j’ai recroisé une ou deux fois à des concerts ; il était pote avec DJ Pone…
Cet autre copain qui chantait tout le temps ; je n’ai plus tous les noms
en tête. Et puis un autre grand qui était, de mémoire, très pote avec Vincent.
Il y a d’autres travaux qui me restent. Pas forcément des
réussites non plus. Cette scéno pour un conte musical donné – ou c’était
peut-être encore un prétexte de prof ? – par la Maîtrise de Radio France :
Les Deux Lutins où Colombine et
Clochefleur accompagnaient Gallador. On trouvait ça un peu débile. C’était pour
les enfants. On était encore de vieux ados. Et potache de surcroit. Le nom de
Gallador avec ses ‘l’ moulés comme dans un commentaire de la RTF nous amusait
beaucoup.
Mais ce que préférait Vincent c’était le dol, du latin dolus (la ruse), que Lambert, prof de gestion
martyre parmi nous, affectionnait particulièrement. Pas autant que mon camarade
qui en usait tout au long de la formation à tort et à travers ; c’était
son gimmick, sa vanne favorite.
Enfin, une vraie réussite : le concours emporté en
première année pour le Bon Marché où nous eûmes l’occasion de travailler avec
les post-BTS textile. Vincent fricotait pas mal avec les étudiantes de post-BTS !!!
Moi, je préférais les prépa ENS ; je peux me lâcher là-dessus, ça ne
gênera pas ma femme, et pour cause ! Vincent aurait pu en profiter, il y
avait entamé un cycle avant de préférer le BTS PEA. Toujours est-il que cette
collaboration fut très enrichissante. Des idées fantastiques donnèrent de spectaculaires
installations plantées à l’étage confection féminine de la chic enseigne de
Sèvres-Babylone. J’avais imaginé avec ma binôme (Marie-Hélène ?) une « cascade cucurbitacée » sorte
de courgette géante ligaturée et hérissée de branches mortes. La chaussette de
toile enduite couleur aubergine et sérigraphiée à l’encre gonflante nécessitait
10 mètres de tissu en trois pièces. Un travail titanesque que je devais fuir lâchement
pour m’échapper à ce moment là à Chamonix avec Marco et Laetitia ! On voit
bien sur les photos la circonspection des petites vieilles du Bon Marché qui
détournent avec mépris le regard en évitant précipitamment le monstroplante…
J’y ai repensé en découvrant cet autel fait de pots de
fleurs géants – comme ceux qui faisaient aussi partie du dispositif du Bon
Marché – improvisé à Gentilly pour rendre hommage à un de ses habitants actif,
inscrit dans la vie de la cité et, manifestement, aimé. C’est qu’il était
classe. Et quel charme ! Nul doute qu’il a été un super papa. Nos gamins
ont les mêmes âges. Naturellement. Mais maintenant les siens sont seuls avec
leur maman.
Toctoc. Qui est là ? Ben, plus personne.
Je n’ai pas revu Vincent depuis ces belles années de
BTS et puis de DSAA. On a dû se quitter sans le savoir sur quelques pots
partagés – il donnait les meilleures fêtes dans son appart proche de la Gare du
Nord. Si j’ai copieusement suivi les infos ces derniers jours, m’inquiétant
comme tous les franciliens de mes proches, je n’avais pas eu à consulter la
triste liste. Je l’ai découverte aujourd’hui, fortuitement.
Vincent Detoc, architecte, avait 38 ans. Il avait un
groupe, parait-il, et jouait pas mal. Il était au Bataclan ce vendredi.
†
Je ne connais pas celle avec qui il réussissait si brillamment sa vie. Mes pensées vont vers elle et ses enfants. Puissent ces souvenirs participer du courage que je leur souhaite pour vivre après.
Toctoc y a plus personne. Il est beau ton texte. Il fait du bien à lire. J'ai connu Vincent un peu avant, dans ses années The Cure-Lautréamont-Cheveux en l'air. On a partagé les bancs du lycée et quelques lectures. Quelques heures de réflexions métaphysico-philosophico-adolescentes aussi. Sur la photo de classe, on ne pouvait pas le rater, le gothico-sombrero au teint pâle. Dans la cour, on ne pouvait pas le rater, le Cheveux-dressés et sa bande. Les corbeaux. Dans la rue, les gens se retournaient sur son passage. C'était marrant de traîner avec lui, marrant de scruter les regards des gens qu'on croisait. Lui, il ne semblait pas les voir, c'était encore plus marrant. J'ai vu son nom par hasard, parmi une multitude de noms, parmi une multitude d'articles. Je l'avais perdu de vue il y a 20 ans déjà, juste après le bac. En 20 ans, il s'en passe des choses, tellement de choses... D'un coup, je rajeunis, je fais un bond dans le passé. Il était chouette ce passé. Le présent l'est moins. L'avenir... il me semble bien moche.
RépondreSupprimerC'est avec de belles images et les valeurs associées qu' on peut faire la nique au moche, à ces abrutis qui croient -- et en quoi croient-ils d'autre? -- pouvoir nous imposer ce triste avenir. Ils ont fait du mal mais c'est vain. On leur résistera à ces iconoclastes en cultivant nos images colorées comme il faut cultiver le souvenir vivace de telle force vitale, celle de notre camarade perdu. Il faut entretenir les belles choses, en résistance!
SupprimerMerci Babeth pour cette communion malgré tout réconfortante.