Ce vendredi, à Saran, on fêtait la Saint-Jean.
L’occasion pour les typos et les imprimeurs de se retrouver ; pour les
petits nouveaux, les minots comme moi, de rencontrer des personnages
passionnants, gardiens d’un patrimoine formidable que je me propose de
rapporter…
Là, on fait moins son malin, hein ? Bof, même pas mal ! Le bain d’huile bouillante proposé par les romains fut pris comme rafraichissant ; de quoi énerver encore un peu plus les Latins, au moins jusqu’à Constantin… Ici, un missel de 1370 conservé à Avignon. Très belle rotunda, au passage...
Peut-être la date vous semble curieuse pour peu que
vous fêtiez le Baptiste en juin ou encore l’Evangéliste en hiver. Mais là,
c’est l’épisode à la Porte Latine que l’on prend pour référence, de ce martyr
que l’apôtre aurait connu à l’entrée de Rome sous Domitien. De cette aventure,
il est devenu saint-patron des tonneliers puis des imprimeurs, et, croyez-moi,
il y a quelques relations entre ces deux professions !!! Enfin, il m’aura
fallu une bonne journée de diète pour récupérer du fameux À
la
qu’on prend sur le marbre. D’ailleurs on l’a pris au soleil ce pot de la
fraternité et pas dans l’atelier où il pouvait se tenir auparavant. Le À
la,
c’est tout à la fois une chanson et un rituel. Quand il vint à l’esprit des Révolutionnaires
d’interdire les réunions corporatistes sur les lieux de travail, les ouvriers –
typographes en l’occurrence – prirent l’habitude de se réunir à tour de rôle
chez les uns ou les autres pour continuer de partager telle collation
fédératrice. Ainsi, on buvait à la
santé de celui qui accueillait. L’interdiction levée, quelques décades plus
tard, le pli était pris et le À la put se tenir sur le
marbre de l’atelier, grand plan de travail central où transitaient les formes
imposées. Et, manifestement, ces gens s’entrainaient parfois dès potron minet
en prévision de l’apéro de fin de journée !!! Mais au-delà des anecdotes et
autres records du genre, tous étaient d’abord d’excellents ouvriers, passionnés
par la noble tâche qui était la leur.
Alors je les ai rencontrés, eux et leurs histoires. Et,
d’emblée, le fraternel prend le pas sur le corporatiste. Non pas que
l’attachement à certaines valeurs et certaines lois ne se soit affaibli mais en
lieu et place du secret le plus sectaire, j’ai trouvé parmi eux un accueil et
un sens du partage rassurant pour moi qui n’ai pas fait mes classes.
D’ailleurs, je ne les aurai jamais à la hauteur de ces gars qui ont tous
transformé leur apprentissage en validant quelques années de pratiques avant de
connaître de prestigieuses maisons ; à qui L’Huma, Le Monde, l’Imprimerie
Nationale, dont il y avait certains représentants. Des typos, linotypistes,
imprimeurs, fondeurs, graveurs mais encore deviseurs, correcteurs,
traducteurs ; j’en passe.
Et c’est important de partager. Important et un peu
pressé aussi. Certains de ces camarades tiennent ici et là des ateliers-musées.
Souvent je parle de Saran, de Rebais. J’ai découvert un nouveau point de chute
à Jouy-le-Moutier, quelques équipements conservés chez les uns ou les autres,
jusqu’à Genève. Mais tous ces amis de la typo peinent à trouver des relais, et
pour cause, avec le métier disparu, ce sont les savoirs qui vont se perdre. Et
quels savoirs ! Ce ne sont pas moins de 500 ans d’Histoire, un demi-siècle
de l’Humanité, au-delà du seul patrimoine artisanal et industriel que l’on va
oublier, quand ce n’est pas déjà fait. C’est ce dans quoi je m’investis. Mais
mon effort, qui correspond à mon apprentissage en cours et « à
distance », est bien modeste au regard de l’immensité et de la richesse de
ces connaissances… C’est ce qui me fait marcher. Alors quel plaisir, quelle
chance de rencontrer ces nouveaux copains !
Un mot sur l’asso…
Il faut quand même célébrer nos hôtes ; Jean-Paul
Deschamps et LES Tachot – je parle souvent de Frédéric mais il y a aussi Madame
et même leur fille qui prolonge pour une génération de mieux dans les arts
graphiques ! Dès le matin, Jean-Paul est aux petits soins de la Monotype
quand il ne la quitte pas pour sa fondeuse Supra ; cette dernière assure pour
les plus gros corps, la Mono sèche au-delà du corps 12. Pendant que l’ancien
chef d’atelier de l’Imprimerie Nationale bosse, lui, Fredéric Tachot accueille,
en râlant toujours un peu, ses compagnons. Ils sont tous les deux à la tête
d’une collection vivante comptant des témoins des différents moments de
l’impression typo depuis le moule à arçon, en passant par les composeuses de
toutes les espèces jusqu’à l’aquarium maison où bulle un précipité bleuâtre et
qui réalise d’authentiques clichés galvano ! Dans les locaux de l’ancienne
école réside donc l’association Format Typographique qui réunissait ce vendredi
une grosse soixantaine de typos – des hommes et des femmes, pas des plombs.
Pour mieux réaliser le rayonnement des tôliers du lieu, il y a ce livre (ci-dessous),
restituant différents entretiens réalisés à l’époque où ils investirent Saran,
en 2006-2007. Frédéric et Jean-Paul reviennent sur le métier perdu tout en
s’appuyant sur leurs extraordinaires parcours. Ne vous gênez pas ; c'est toujours bon pour l’association !
(Frédéric Tachot)
Enfin, pour finir de tenter certains, parce qu’après
tout, l’atelier est ouvert et bien vivant, quelques photos volées – comme un
âne, j’avais l’appareil sur moi mais pas de carte mémoire ; vive le
smartphone! Je n’ai pris que ces quelques formes qui trainaient sur les rangs.
Des trésors, il en a plein d’autres. Prenez ça comme un teasing de l’art et des
métiers du typographe à découvrir auprès de ceux – les derniers – qui l’ont
porté au plus haut degré de maîtrise.
Ça
parlera peut-être aux étudiants et à mes collègues stagiaires qui rencontrèrent
déjà quelque peine à serrer trois lignes d’Univers en corps 12 sur une justif’
de 17… Enjoy :
Nous n’avons pas su partager la table avant d’avoir
pensé ensemble aux absents qui, partis trop vite, auraient pourtant dû être de
l’assemblée.
Qu’il me soit donc permis de rendre encore hommage à mon collègue
Philippe Boulard et de penser à Marie et toute sa famille. Cette petite reine composée
et pressée par Ulysse, 6 ans, imprimeur en herbe ; en imaginant que là-haut,
ça grimpe, forcément...
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