En attendant la dotation de mes grosses presses en
rouleaux et garnitures, je m’occupe avec d’autres bricoles. Au moins, cette
petite bête là est suffisamment légère pour que j’entreprenne de la restaurer
vraiment…
Il s’agit d’une presse à carte de visite, une petite
machine de table comme on a pu en développer entre la fin du XIXè et
le début du XXè siècle et de toutes sortes d’ailleurs. Dans ce même
format, on en voit en bois et dans une conception plus rudimentaire ; ma
trouvaille est dotée d’un encrage automatique tout de même – enfin, il n’est
plus très efficace, on le verra plus tard… Il y en a aussi de plus imposantes,
avec des corps en fonte ; j’en ai découvert quelques-unes dans un album
Flickr (right there) de fabricants comme Paul Abat,
Guérin-Nicolot ou encore… Fernand Hachée Successeurs !!! Enfin,
il faudrait aussi associer à ce besoin les répliques miniatures des presses à
platine et disque encreur dont l’Adana
5*3 est peut-être la représentante la plus populaire et la plus moderne.
Jacques Driot, dans son musée à Rebais, en possède une, d’une autre marque,
très mignonne. Ces petites machines arborent en général deux rouleaux toucheurs
et sont de fidèles reproductions des presses coup-de-poing type Boston sans le
grand bras de commande mais avec de simples poignées à la mesure de la moindre
force attendue.
Ces appareils n’équipaient pas les imprimeurs mais
plutôt d’autres artisans et commerçants, voire des particuliers qui précèdent
dans cette pratique indépendante le fameux « Tout-le-monde-est-graphiste »
de notre époque. Encore que… Il s’agissait tout de même d’être un tant soit
peu équipé en matériel typographique pour sortir quelque chose de ces petites
machines qui appelaient malgré tout quelque tour de main.
Et sur ce segment de l’imprimerie personnelle et
commerciale, on peut aussi évoquer les kits en usage jusqu’au milieu du siècle
dernier : les coffrets La Mondiale
ou Perfect avec lesquels on imprimait
directement au composteur des étiquettes ou des notices pour la vente. La
marque Tyflex qui se concentra sur
les formes en caoutchouc à hauteur typo développa, elle, des véritables petites
presses à épreuves. Leurs dimensions permettent de tirer d’assez grands formats ;
elles sont assez dures à débusquer aujourd’hui… Je passe sur d’autres systèmes dont les étranges types
profilés avec de petites pates s’engageaient dans des glissières sur un tambour ; de bien
curieux appareils que je ne connais pas trop…
On est donc à mi chemin entre la presse typographique
et le jouet. D’ailleurs ce n’est pas si évident ; cette petite mécanique
aurait bien pu appartenir à un parfait amateur, peut-être en culotte courte.
Parfois ces mini-presses sont répertoriées comme jouets. Dans les années 80 (?)
ont été lancées différentes imprimerie-jouets. Le plus souvent avec des tampons
souples substituts aux clichés typo mais parfois avec des alphabets aux
caractères mobiles. Mais ces authentiques joujoux revêtaient d’autres formes
évoquant, par exemple, le modèle réduit d’un groupe rotatif, simple carter à
vocation ludique dont le design était parfaitement indépendant de la fonction
opérante. Si je pense à ces jouets en plastique bleu, jaune ou rouge, au
demeurant assez moches, j’en ai aussi vu des versions sans doute plus anciennes
en tôle et aluminium. Mais ce sont des objets que je connais encore assez peu.
Muriel Méchin, dans son formidable musée de la typo à Tours en possède quelques
uns. Avis aux amateurs ; c’est un endroit merveilleux !
Mais revenons à ma petite presse. Toute mécanique qu’elle
est, elle n’en demeure pas moins « automatique ». Du moins pour l’encrage.
Je vais tâcher de vous en dépeindre le fonctionnement ; vous pourrez la
remonter virtuellement avec les photos à suivre. On a donc une petite « platine »
surmontée d’un bouton en bois qui vient écraser via le levier une forme
typographique que peut accueillir la petite boite en tôle. Cette partie laisse,
sur son champ visible, à l’avant de la presse deux trous béants qui devaient
recevoir des vis serrant la composition (elles n'y sont plus). Dans le mouvement du bras principal,
par le truchement de deux biellettes en fer plat flanquées de chaque côté, glisse un rouleau gainé dont l'axe est conduit
par une glissière de part et d’autre de la machine. Pendant que la platine est
en pression et avant de venir toucher la composition typographique, le rouleau
se charge d’encre sur un feutre imbibé (que j’ai depuis remplacé) collé sur la
table d’encrage à l’arrière de la presse. On a donc un simple va-et-vient qui
voit se succéder encrage et pression. C’est simple, non ? Je fais une démo
juste après, pour ceux qui ont le courage d’attendre…
Quand je l’ai récupérée, elle était dans son jus, un
peu grippée et bien rouillée. Mais comme elle n’est pas bien grosse et comme je
suis téméraire – on peut prendre ces derniers mots aussi sous la forme exclamative
suivante : « (Ô,) comme je
suis téméraire ! », NDA – j’ai donc entrepris de la nettoyer
entièrement. Et c’est là tout le roman de mes dernières vacances. Enfin, ça a
pris deux ou trois jours…
D’abord, il a fallu la démonter. Heureusement, les
récentes attentions consacrées à la Nationale et à ma Merveilleuse (la type
Boston) ont considérablement développé le rayon des produits huileux et
graisseux voire dégraissant qui, auparavant, ne peuplaient pas mes étagères. Vive
la WD40 ! (pour ne pas la citer).
Une fois la presse démontée et la moitié des vis
éclatées, j’ai pu goûter aux joies du sablage façon petite pièce précieuse,
aidé en cela par un brillant artisan d’art qui pourtant fait des trucs en bois –
on n’a jamais vu un piano en fer ! Rapide comme je l’ai été, je lui dois
au moins deux kilos d’alumine, cette poudre qu’on en a plein les cheveux et la moustache
mais qui attaque bien l’acier et la fonte dont sont faites les pièces traitées.
De retour dans mon garage, j’ai appliqué d’abord un primaire
anticorrosion avant de peindre tout ça avec un produit adapté. Un petit bain de
vermouth pour les vis bouchon en laiton ; une très fine et subtile
abrasion des parties en bois d’arbre, un peu d’huile et voilà. La visserie,
dont les pertes ont été considérables a été remplacée en grande partie. Enfin,
au feutre originel, complètement cramé, j’ai préféré – et par défaut – une plaque
d’acier, m’inspirant des tables à encrer de mes autres appareils.
Tadaaaa!
La petite presse librement restaurée, il s’agissait de
la faire fonctionner, car c’est bien là le but de toute cette histoire.
Après avoir improvisé une petite compo pour les besoins
de la démonstration, il a fallu encrer. Et là, au regard de ce que j’ai
substitué une surface en acier au feutre d’origine, l’authenticité historique s’en
trouve corrompue. Alors j’ai appliqué l’encre au couteau, et fait rouler pour
imprégner le rouleau. Bon. Après quelques décades de retraite et – qui sais –
peut-être un bon siècle d’existence, autant vous dire que la gélatine est bien
sèche. Aussi, le rouleau n’a plus aucune souplesse, et donc plus la juste
capacité de rétention attendue. J’ai malgré tout appliqué un ou deux cycles une
fois la forme imprimante enchâssée. Ça barbouille ! Privée
de sa souplesse, le rouleau ne peut plus, ni prendre, ni répartir l’encre
correctement. Les plombs s’en trouvent noyés ou, a contrario, trop peu touchés.
C’est terrible.
Le résultat que je vous présente ici est un peu « triché ».
C’est pressé avec la petite machine, certes. Mais, privée de son encrage, je me suis
résolu à encrer avec un rouleau tiers – ce qui n’est définitivement pas
pratique – pour sortir quelque chose. Par ailleurs, mais ce n’est pas là un
parjure, j’ai habillé par-dessus le papier avec quelques mises pour forcer la
pression seule du bois de la platine.
Conclusion des opérations:
C’est nul.
On n’est donc pas dans les conditions expérimentales d’origine.
À
ce propos, je ne sais pas comment on serrait les lignes autrement qu’en
hauteur (je veux dire dans le sens de la longueur par rapport à la géométrie de la presse). Y-avait-il un châssis ? des composteurs individuels ? J’ai
utilisé des serrages type Cornerstone (« speed quoins » pour Adana) ;
si petits qu’ils soient, ça prend déjà pas mal de place dans l’espace de la forme.
Et puis accéder à cet espace est une vraie galère ! En effet, la platine
relevée, c’est le rouleau encreur qui se présente et barre l’accès au poste en
question. Aussi, pour avoir l’accès libre, il faut tenir le plan de pression à
demi ouvert, à mi course pour laisser le rouleau juste à la sortie de la table.
On a alors peu de débattement, certainement pas assez pour glisser une
interligne ou une espace même à la pince. C’est mal foutu. Quoi qu’il en soit,
on ne peut pas se faire une idée juste des qualités d’impression de ce petit
appareil. Il était conçu pour un autre emploi, et sans doute d’autres habitudes
et astuces, aujourd’hui perdues.
Finalement, ça décore dans le salon.
*
En guise de bonus, un encas typo à propos des formes
investies ; ça mange pas d’pain !
Le caractère le plus connu ici est le Banville (« Si,
si ! ») de la fonderie Olive. Dessiné au milieu des années 30, bien
avant l’ère Excoffon, il demeurera populaire longtemps tant et si bien qu’on en
trouve encore beaucoup dans les vielles casses parisiennes en dormance. Au
dessus, c’est un produit dont la réussite est plus contestable à mon goût, le
Veltro (en gras). Cette scripte date de 1931 et ressort de la fonderie
italienne Nebiolo – là encore, avant la direction du non moins célèbre Aldo
Novarese. Je lui trouve quelques maladresses mais il a le mérite d’anticiper
des tendances qui seront encore d’actualité dans les années 50.
Mais le clou du spectacle, ce sont les petits oiseaux
dont j’ai remonté la trace en découvrant la signature dans le plomb : G. Mayeur. Il s’agit d’une vignette.
Contrairement au cliché, qui présente un motif illustratif « moulé »
par galvanoplastie, armé de plomb typo et monté a posteriori sur un support en bois,
la vignette est un plomb entier et, ici, plein. On peut voir son cran, comme
elle présente une gouttière en dessous. Aussi, la vignette est fondue comme
un type « normal » et elle a un corps donné en cicéros. Ici, 4
(soient 48 points). Ces charmants passereaux (j'hésite entre chardonneret et mésange bleue) sont peut-être plus respectables
encore que notre petite presse. On les trouve au catalogue de la Fonderie Typographique
Gustave Mayeur et Allainguillaume, au chapitre des vignettes printanières, paru en 1886. Manifestement très prisé, ce très
joli spécimen ne connait pas de numérisation. J’en ai repéré quelques
exemplaires dans des universités américaines et d’autres traces dans des ventes
dont j’ai tiré cette médiocre image (ci-dessous). Une édition ultérieure des héritiers,
parues en 1906 et présente à la médiathèque de Roubaix ne propose plus mes
petits oiseaux. Aussi, de leur branche, trois siècles nous contemplent. Et que
dire alors du papillon…
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