Mes projets de partage avancent. Je vais publier sous
peu quelques retours d’une première expérience d’initiation à la typographie
avec les étudiants. Un début mais déjà une satisfaction. Alors je peux déjà
revenir sur mes premiers instants comme ils sont encore très frais. Et une
pensée me vient à la lecture d’un post de graphistes amateurs de typo sur la
pratique qui est à ce jour la mienne, une pratique initiatique, amatrice…
décomplexée.
Le tout premier tirage, sans presse, encré comme je pouvais et
imprimé « à la cuillère ». Je n’avais ni châssis, ni interligne, ni
lingot. J’ai serré tout ça avec des lames de plastiques et des morceaux de
tasseaux plus ou moins bien découpés. Mais j’étais tellement heureux d’avoir
acquis ces deux premières casses à un monsieur formidable qui jadis animait un
petit musée dans la Creuse. Je n’avais qu’elles et rien d’autre. J’ai compris
la typo ce jour là – et Mistral avec.
L’émotion restera… Et tant pis si c’est moche !
Depuis, je me suis équipé pour transférer ma forme
imprimante et la serrer correctement, la presser un peu mieux avec les outils
adéquats (image en titre). L’encre est un peu transparente mais j’ai éclairé le contre-poinçon
des ‘e’ dans le Mistral. Et puis je
me suis lancé sur un petit exercice supplémentaire avec mes nouveaux types. Ça
progresse, doucement… J’apprends.
J’ai donc découvert au hasard de mes errances sur la
toile le blog d’un petit groupe de graphistes qui livrent quelques articles sur
notre passion commune. Je ne les connais pas plus que ça. Et ce sont les
témoignages d’Anne-So, l’une d’entre eux, que je voudrais louer ici – des témoignages
postés en 2012. Je n’ai pas contacté cette camarade bloggeuse. Peut-être lui
enverrai-je ma bafouille… Peu importe, ma réflexion n’est pas à charge, bien au
contraire.
Donc, Anne-so présente sur son blog son expérience de
composition (et d’impression) typo. Elle nous ouvre les portes d’un bel atelier ;
de larges rangs, de nombreuses casses dont certaines de la fonderie Haas,
quantités de matériels utiles et une large presse à épreuve. Elle compose et
imprime des pages de poésie en anglais. Tout ça avec une passion communicante
et bien communiquée. Je m’associe là aux commentaires de remerciements qui
suivent son article ; c’est dans cet esprit que je publie aussi !
Mais parmi les quelques commentaires il y a d’autres
interventions autrement moins enthousiastes ; ce sont celles de véritables
compositeurs et conducteurs typo qui, après avoir exhibé leur titre et
promotion, critiquent les gestes d’Anne-So.
Le fil de commentaires suite à l’article sur le blog
Typographisme.net (lien) et la variété de réactions qui ont conduit à cette
petite réflexion :
Ils n’ont pas tort, Anne-So tient mal son composteur –
d’ailleurs, elle ne le tient même pas, aussi elle ne peut pas coincer ses types
avec le pouce de la main gauche en butée
sur le fer du composteur. Anne-So compose à l’envers ; comment peut-elle
monter des lignes consécutives en ferrant à droite, les caractères la tête en
haut ? Anne-So pose ses blancs dans un ordre croissant permettant à des espaces
plus fines de déverser en bout de justif’ au moment de transférer un bloc sur
le plateau… qu’elle confond avec la galée. Et j’en passe.
Un souvenir de ma première expérience. Je n’avais pas de
composteur. Alors j’ai coupé un bout de cornière et y ai collé une butée. C’est
à l’envers ! Comme chez Anne-So. Et puis il manque une espace avant le
point d’exclamation. Je possède aujourd’hui
différents composteurs, et je monte ma ligne la tête en bas, évidemment. Mais sans doute je fais encore pas mal de
bêtises !!!
Ci-dessous, le composteur d'Anne-So:
Mais je ne suis pas en clin à la blâmer. Moi non plus,
je ne sais pas faire. Mais on fait. C’est qu’Anne-So n’a pas son CAP typo. Moi
non plus, et pour cause – j’aime à dire à mes étudiants que je n’ai même pas de
formation en communication visuelle !
Alors faut-il rester à distance de ces choses quand on
n’a pas validé ses 3 années d’apprentissage, avoir été bizuté dans l’atelier en
cherchant la machine à cintrer les guillemets, avoir pris sa première barbe au ala de la saint Jean ? Ou peut-on
malgré tout s’en emparer, modestement, voire avec des ambitions ; parce
qu’elles sont belles les épreuves d’Anne-So au final !
Je suis pris entre deux états. Je suis à la fois un
authentique novice, l’alter-ego d’Anne-So, et déjà soucieux des « bons
gestes » comme je possède aussi une petite culture, un peu savante, et que
je les enseigne avec soin. Je suis l’amateur qui a collecté du matos ici et là
pour monter un atelier de fortune dans son garage et, se faisant, riche des
rencontres et astuces que m’ont confiées des gens de métier, et non des moindres.
J’apprends auprès d’eux et tout seul à la fois. J’ai un grand respect et une admiration
certaine pour les anciens de l’imprimerie que j’ai eu la chance de croiser. Le
travail d’Anne-So force le même respect, me donne la même envie.
Alors il ne s’agit pas de sacrifier aux exigences tant on s’engage dans la transmission d’un
patrimoine fragile et de savoirs-faires artisanaux précieux. Mais, en tout état
de cause, le CAP typo n’est plus ; jamais plus on ne formera de
compositeurs typo pas plus qu’on ne fondra de nouveaux matériels d’ailleurs. J’ai
le sentiment de participer au prolongement – à la redécouverte tantôt – de l’aventure
typographique et de tous ses plaisirs sans pour autant trahir ces savoirs,
nuire à l’exercice. Au contraire. Anne-So est un artisan de la typo ; elle
a, comme tous les amateurs qui contribuent à conserver la discipline, ma
profonde reconnaissance.
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