Qu’on se le dise, ma cuisine n’est pas ornée de plaques
émaillées à l’enseigne de telle poudre chocolatée ou pâte fromagère soutenue par
un bovin hilare avec le thermomètre au mercure agrafé dessus. Pas plus que je n’ai
punaisé chez moi de reproduction de placards vantant la dernière revue de la
Goulue ou encore les mérites du bouillon Kub. Pourtant j’ai trouvé ces petites
cartes, modestes jalons de l’histoire de la publicité…
Je me souviens quand même avoir obligé mes parents à
transférer le paquet de grains-de-blé-soufflés-caramélisés depuis son enveloppe
primaire vers le Tupperware adéquat pour récupérer le jouet débile avant même
de prendre mon petit-déjeuner – opération autrement délicate avec le
Nesquik ! Il faut bien reconnaitre à ces jolies petites images qu’on
trouvait dans sa tablette de chocolat un autre charme que les goodies de la
dernière série à la mode qui appâtent encore les fans de Happy Meal.
Elles procèdent pourtant du même ressort, déployant dès
le dernier tiers du XIXè siècle, l’arsenal alors naissant des modes
opératoires de la publicité moderne. C’est ce petit gadget qui, via
l’enfant-cible, presse l’achat par le consommateur du produit
« habillé » de la bonne marque, ou de la franchise qui rallie tout le
monde dans la cours de récré. Les formes se distinguaient pourtant un peu des
dispositifs actuels…
Si ces formats perdurèrent longtemps tout au long du XXè
siècle – on en trouve encore des témoins dans les images distribuées par le
professeur des écoles –, la technique bien particulière, produit de son temps,
est propre à cette période, âge d’or de la chromolithographie.
J’évoquai brièvement cette technique d’impression dans
un article précédent sans m’y attarder plus que ça. La chromo c’est la litho mais
multipliée par tant de passages couleurs – et donc de formes – que n’en exige
le programme pictural. On est donc sur de la pierre ; une pierre calcaire
particulière et extraite de carrières tout aussi exclusives, en Bavière
notamment. Une pierre au grain fin et régulier dont la porosité permet la
rétention tout à la fois de l’eau mais aussi des corps gras. Et c’est là-dessus
que la technique repose : la répulsion maigre-gras. Une fois le dessin
reporté, via un papier report ou encore en sollicitant la photogravure sur une
enduction sensible, et après avoir appliqué une résine qui protégera le dessin
du « mordant », la forme imprimante est encrée. La couleur ne se
dépose qu’aux endroits gras qui n’auront pas été attaqués par la solution
acide. On réalise autant de formes qu’il y a de couleurs à l’instar de la
séparation en quadrichromie. Mais en chromolitho, on composait parfois avec
près de quinze couleurs !!! Bonjour le repérage… On aura tôt fait
d’appliquer ce protocole à des supports plus légers comme le zinc qui préfigurent
les plaques pour l’offset qui n’est que le prolongement de l’impression
lithographique.
C’est donc souvent la palette parfois très riche qui
distingue la chromolitho et ce que les anglais appelle «stippling», sorte
d’effet pointilliste – je ne sais toujours pas traduire parfaitement le terme –,
un « piqué » très caractéristique qui évoque la rétractation d’un
corps fluide sur une surface imperméable. Aussi, le jeu devant telle chromo est
de tenter d’isoler les couleurs initiales et le nombre de passages. Pas
toujours évident. Le principe n’est pas tout à fait le même que la
reconstitution optique de la quadrichromie moderne fondée sur des linéatures savamment
orientées.
Alors elles sont bien jolies ces petites images dont
les standards (6,8 x 10,5 cm) sont un peu supérieurs aux images Panini de mon enfance. On
pouvait en trouver de plus grandes, dans des formats plus allongés, parfois
avec des découpes plus accidentées et leurs bords souvent dorés. On peut en
voir des très complexes, comme l’affiche d’alors, composées de médaillons et de
cartouches, plus ou moins riches en texte par-dessus des scènes de tous
genres ; de véritables tableaux miniatures richement ornés. Elles étaient
donc à collectionner avec ses confiseries préférées et faisaient bien leur office
de moteur d’achat pour compléter telle série, quitte à échanger les doubles
avec ses camarades. Par ailleurs, elles étaient elles-mêmes supports de
publicité, avec slogans et réclames, indications tarifaires et suggestions pour
d’autres produits en gamme.
Cette carte porte la mention de l’éditeur Romanet et fut imprimée par La Lithographie Française, à Paris. Un imprimeur qui émit de nombreuses séries de cartes-réclames dont de véritables bijoux qui n’ont rien à envier au plus noble genre de l’affiche.
Les images pouvaient manifestement être associées à
différents produits, de marques étrangères les unes aux autres comme cette
image d’Estienne qu’on trouvait, évidemment chez Poulain – précurseur en la
matière –, mais aussi chez Aiguebelle, chocolaterie fondée en 1868 et qui
deviendra la Compagnie Chérifienne de Chocolaterie après que la firme se soit déplacée
au Maroc. C’est vraisemblablement l’origine de l’autre image qui n’a pas de
marque. J’ai trouvé aussi des traces de la même série chez les Chocolats Matte
et fils à Montpellier… Bref, ces images tournaient. Sans doute faut-il imaginer
que le graveur-lithographe en vendait les droits à différentes firmes. N’en
demeure pas moins que chez Poulain, c’est gaufré et pelliculé. À
cet endroit, la marque se distingue aussi de la concurrence !
La carte Poulain (ci-dessous), «estampée» selon les termes du chocolatier. Celle-ci porte un tampon d’école au dos ; elle devait être distribuée contre dix bon-points aux élèves les plus sages (en l’occurrence les garçons de l’école laïque)…
Pour s’en donner les moyens, Poulain, leader sur ce
segment, possédait sa propre imprimerie pour pourvoir à la diffusion de ces
petites surprises graphiques. Au plus fort de cette période, autour de 1900, on
pouvait tirer jusque 350.000 chromos par jour ! Poulain émettait aussi les
albums pour collectionner ces images et d’autres objets publicitaires qui
n’intégraient pas les packagings alimentaires. Lancées par la firme au petit du
cheval en 1879, les chromos vont se populariser et les grandes séries se
succéder jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, date du déclin du
genre, comme de la technique d’impression – du moins pour cet exercice en
particulier.
Parmi les plus fameuses séries, je suis donc tombé –
allez savoir pourquoi – sur les hommes célèbres.
Les portraits sont accompagnés – ou pas – d’une petite
présentation au verso de la carte. Des notices peu rigoureuses, habitées par
quelques fautes à l’occasion notamment à l’endroit des noms propres. Un comble
quand on sait que l’un des arguments – parmi d’autres promesses marketing –
était la valeur éducative de telle marque qui prétendait supporter la culture
de ses petits consommateurs. Aussi, les séries à valeurs historiques et scientifiques
se suivaient. Dépassées les premières scènes de genres (1880-1890), on imprima
les exploits des grands hommes ou les faits de quelques illustres chrétiens
canonisés ou pas. Et puis cette série assez fameuse des hommes célèbres qui
manifestement fut très largement diffusée pour qu’on en trouve encore beaucoup
aujourd’hui.
On l’a dit, le document n’est pas de la plus grande
rigueur intellectuelle. Mais c’est toujours mieux que des Pokémons ! Ce
sont des évocations glorifiantes et romancées pas si différentes de celles qui
pouvaient alors illustrer les manuels ou les posters dans l’école de la IIIè
République. Alors, on s’amusera, nous, à relever la hauteur sous plafond de
l’atelier d’Estienne qui lui interdisait de fixer ses presses aux poutres.
Admettons. Ou comment Bob snobait le Roi, qui préférait de toute façon flirter
avec quelque courtisane plutôt que de causer corps de fontes parce qu’après
tout, tout le monde s’en fout – je sais de quoi je parle, personne ne lit mes
articles… On distinguera encore les postures de ces imprimeurs avachis, la tête
appuyée sur leur coude qui, dans la fleur de l’âge, sans doute à l’apogée de
leur discipline contemplent, tout en spleen, leur grand œuvre. Ça
bosse pas beaucoup quand même ! Et puis, qu’ils nous fassent pas croire
qu’ils avaient les mains dedans ces maîtres d’ateliers ! Au moins, chez
Alde, en prote, il y a un ouvrier au charbon ; comme quoi il ne faudrait
pas trop critiquer les capacités entrepreneuriales de nos amis transalpins.
Voilà, si quelqu’un a Gutenberg – je doute qu’ils
n’aient jamais imprimé Josse Bade ou Simon de Colines – ça m’intéresse. Par
contre, je n’ai pas de double à échanger…
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