Prétexte du jour, cette plaquette commerciale de la
fonderie Olive. Très probablement édité en 1954, ce petit spécimen me plait
particulièrement en ce qu’il n’est pas étranger aux formes que j’ai choisies
pour la pièce de titre de mon blog. Si je l’ai trouvé après le lancement de mon
journal, les ingrédients et leurs connotations sont bien ceux qu’il me plaisait
à endosser…
On associe très naturellement Olive à Marseille. C’est
pourtant à Paris que l’aventure de Roger Excoffon, futur directeur artistique
de la célèbre fonderie commence et pour une quinzaine d’année d’intense
création pour l’identité de la typographie française.
Attention, pas de méprise: le Vendôme gras dans lequel est composée la marque Olive a été dessiné par François Ganneau sous la direction artistique d'Excoffon...
Tout
le monde connait Roger Excoffon. C’était l’intitulé de la
célébration qui lui fut donnée en 2011 au Musée de l’Imprimerie. Il eut aussi
une expo à Rouen dans la foulée. Différentes éditions marquèrent aussi ce juste
retour en grâce, le catalogue de l’expo bien sûr mais encore d’autres titres
chez Ypsilon (2010) et Perrousseaux (2011).
Le titre de l’événement majeur était très opportun
quand on réalise combien les créations d’Excoffon sont intégrées à notre
environnement, dans quelle profondeur elles ont imprégné la culture collective.
Elles sont un véritable marqueur identitaire national. Leur emploi massif a
sans doute contribué à leur « dégradation » auprès d’une élite qui
les qualifia de ringardes avant de les réinvestir avec chic quelques décades
plus tard. Mais entre temps leur usage est resté commun dans l’univers des
travaux de ville, de la communication locale ; des strates moins glamours
que les plus nobles terrains investis dans les écoles de design mais néanmoins
très représentatives de tous les métiers de la communication graphique,
y-compris les plus petits.
On plaisante aujourd’hui quand on évoque les formes les
plus fréquemment retenues pour identifier une boulangerie-pâtisserie, une
boucherie-chevaline ou encore le café de la poste, tel salon de coiffure pour
peu que le foncier de commerce ait connu les Trente Glorieuses. Ce sont en
effet ces deux décennies 50 et 60 qui datent les typos de la fonderie Olive.
Comme je passais chez mon apothicaire hier matin, j’en
ai profité pour prendre quelques photos avec l’aimable autorisation de la
pharmacienne. Et sans enquêter très longtemps, les formes qui nous intéressent
ressortent partout autour de soi. Autant dans des manifestations « d’époque »
– des vitrines décorant le comptoir présentent de vieilles potions et autres
moules à suppositoire –, que dans des emballages plus récents, en témoigne ici
un produit parapharmaceutique dans une belle PLV toute pimpante.
L’enseigne en Nord, bien écrasé. Ce même Nord qu’on
retrouve sur une boîte de canule en porcelaine, au dessus de capitales en
Chambord étroit. L’autre emballage, plus ancien propose du Vendôme gras.
Le Vendôme, disais-je, c’est pas Excoffon ! Mais c’est bien sous sa direction
chez Olive que ce produit phare, sorte de néo-Garamond fut lancé. Un des plus
grand succès de la fonderie. Enfin, on retrouve Mistral sur le comptoir ;
le plus joli en évidence…
Petit inventaire de l’atelier
Je ne possède pas encore de casse de Vendôme, peut-être
le produit majeur alors des fondeurs provençaux. Aussi, je ne peux pas
illustrer mon propos sur ces formes là.
J’ai en revanche une casse de Chambord, en italique. C’est
l’un des premiers chantiers d’Excoffon pour Olive. Chambord vient concurrencer
le Touraine de Deberny & Peignot. Pour rappel, à l’époque trois enseignes
se partagent la fourniture des imprimeurs : Olive, implanté dans le sud,
Deberny, le plus gros acteur sur le marché, et enfin FTF elle aussi en région
parisienne – voire là-dessus mon article sur Caravelle/Folio, ici et là.
Chambord réussi surtout là où le Peignot de Cassandre, aussi audacieux que
bancal avait échoué. Plus pratique que ce dernier qui n’était finalement doté
que de capitales et d’étranges et hybrides petites capitales excluant ainsi l’usage
de labeur (en lecture), Chambord est, à mon goût, plus élégant encore que le
Touraine, lui un peu plus grossier mais néanmoins très investi aussi à cette
période.
Chambord italique c.12
Un extrait composé en de tristes circonstances mais
avec beaucoup d’amitié et de compassion…
Mais ma tendresse va par-dessus tout à Mistral. Pour
plusieurs raisons. D’abord très sentimentales. Et là je dois saluer mon ami
Claude, ancien de l’IN qui m’a confié mes premières casses en échange de la
promesse de les faire vivre et de relayer la passion de ces formes et métiers.
Aussi, mon Mistral corps 36 tient une place de choix dans mes rangs. Il se sent
moins seul aujourd’hui, les corps 20 et 16 l'ont rejoint.
Un fake un peu potache, j’en conviens. Pour tous ceux
qui ont découvert l’existence d’Eric Whright A.K.A. Eazy E cet été. Ceux qui ne
connaissait de Dr Dre que les pubs pour les casques audio et d’Ice Cube la
piteuse carrière cinématographique. Non, les Raiders ne sont pas la franchise d’Oakland!!!
Nigga4life, you M****F**** whiteys !
Mistral est un tour de force. Si cette forme a souvent
endossé le caractère « franchouillard » bon à écrire Super-Dupont aux
normes NF, elle a toujours été reconnue depuis sa création par les plus
éminents dessinateurs de caractères comme un produit exceptionnel, quand bien
même certains admirateurs n’en firent jamais usage. Il y a cette légende (?) de
ce que Mistral est une synthèse de différentes cursives dont celle de son
créateur. Sans doute, la conception a sacrifié à cet exercice. Mais ce sont les
jonctions entre les glyphes pour une fluidité remarquable qui fondent l’admiration
pour cette « scripte » (selon Vox ATypI). La puissance et la légèreté
de Mistral, à la fois nerveuse et coulante le rendent tout à fait exceptionnel.
Au-delà de ses mises en application, Mistral est beau. Juste beau. Tout seul. Encore
faut-il, je reviens là-dessus, le regarder en dehors du prisme de la mode qui
le ringardisait tantôt pour le rendre plus « hype » aujourd’hui…
Il faut se pencher sur une casse pour apprécier toute
la finesse de Mistral. Depuis ses subtils contours accidentés que lissent
forcément les traductions vectorielles en passant par la variété des ligatures
qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les versions numériques. Par exemple,
on distingue dans les cassetins du ‘e’ et du ‘s’ des glyphes « de sortie » ;
le compositeur pouvait, à loisir, poser un ‘e’ plus long en fin de mot ou
encore un ‘s’ sans sortie pour boucler tel autre mot.
Enfin, dernière star du specimen, Banco. Celui-ci aussi
est une gloire nationale ! Sortez de chez vous, que vous habitiez en
région ou au cœur de Paris, je ne vous donne pas 500m avant que vous le
rencontriez sur une devanture. Mieux encore que ses camarades, Banco incarne la
puissance commerciale des produits célébrés dans ce post. Plus encore que le
stylo, c’est la brosse qui fait naitre Banco. J’ai pu lire qu’il était très
inspiré du travail de Jacno dont les démonstrations à cet endroit sont
particulièrement probantes – Jacno, dessinait, lui pour Deberny & Peignot.
Banco c20 et c16.
Quoi qu’il en soit, Banco n’a jamais perdu de sa
superbe sur une affiche promotionnelle en fluo, mieux encore dans un phylactère
étoilé ! Je regrette seulement de ne pas avoir de plomb marqueur de
pourcentages pour m’amuser un peu plus…
Manquent à l’appel
Et pour cause… C’est ce qui permet de dater mon
document : avant 1955, au regard des formes de caractères non créées
alors. Manquent à l’appel – parmi les créations d’Excoffon –: Diane, la belle
anglaise (1956). Une Diane aux accents de Médicis tant ses terminaisons sont
tranchantes et ses pleins et déliés ambigus. Manque aussi, et non des
moindres, Choc (1955), le partenaire idéal de Mistral qu’on peut présenter
comme son alter ego en gras. D’ailleurs les deux formes se complètent bien, la
dernière distinguant volontiers quelque titre par-dessus Mistral.
À défaut de l’inviter, un petit crochet par la casse de
choc. Et si vous deviez vous figurer la chose, c’est le caractère choisi pour ‘laitramshop’
dans le header du blog…
Mais surtout, parmi les absents de marque, le fameux
antique d’Olive, et connu comme tel: l’Antique Olive (ça ne s’invente
pas). Je me suis généreusement épanché pour Mistral mais Antique Olive reste
peut-être le chef d’œuvre du maître en ce qu’il investit un segment
particulièrement exposé. Il est, dans son emploi comme son rayonnement,
davantage qu’une élégante linéale latine ou une spectaculaire revue de style à
des fins de titrage comme celles décrites au dessus. Antique Olive synthétise
dans son format, et sa « famille » de rattachement (les linéales),
toute l’originalité et l’esprit d’Excoffon. S’il n’est pas le produit visible
du trait de plume ou du coup de pinceau, on y lit malgré tout toute la place
faite au jeu « physique » de la main via l’outil et au plaisir esthétique.
Une esthétique originale, disais-je, notamment dans sa graisse qu’on peut
trouver « décalée » voire déplacée, en tous les cas affirmée à
certains endroits tant on est, aujourd’hui, habitué à certains standards
fonctionnalistes éminemment suisses-allemands. Ses sorties parfois acérées, « ex
abrupto » selon l’expression de José Mendoza, collaborateur d’Excoffon
dans l’oraison à son ami qu’il tint en 1983, portent la « griffe » du
dessinateur. Cette vivacité, typique des caractères d’Excoffon distingue très
nettement Antique Olive (1958-1962) des autres produits de filiations plus « grotesk »
tels Univers ou Helvetica. Dans ce sens, il ne fut que très rarement investi au-delà
de nos frontières bien que reconnu, cette fois encore, par les praticiens
étrangers.
C’est ballot, il aura tenu cinquante ans avant de tomber
tout récemment le beau logo d’Excoffon à peine relifté par Jean-François Porchez
pour Euro-RSCG en 2000… Le Nord (illustration ci-dessus) devait sortir le
premier (1956, pour l’identité exclusive d’Air France, puis 1958 pour sa
commercialisation en police) avant de connaitre des déploiements dans des variantes
plus maigres à partir de 1962 avec la gamme complète de l’Antique Olive.
Ci-dessous, de l’Antique Olive précède le Nord qu’on peut présenter, à tort donc, comme la version black de l’Antique. C’est l’inverse : Antique est la version maigre du Nord.
Pour finir, un petit mot pour cette curiosité
inclassable dont j’ai ici une belle carte imprimée au plomb par l’atelier de
création graphique & typographique La
Casse, à Nantes. Le ‘L’ s’est substitué au ‘J’, dommage…
Un coup c’est bath,
un coup c’est in…
Le statut de ces jolies formes a bien évolué et connu
différents états de disgrâces en hommages. Si la fonderie Olive, comme ses
rivales, a périclité dans les dernières années 60 ne tenant pas le virage de la
photocomposition, les caractères sont restés encore un temps en usage. Ils avaient
leur place dans les catalogues de lettres transfert Letraset qui constituent un
petit âge intermédiaire dans les années 70. Progressivement, ils vont passer de
mode. On voit dans ces « années-Excoffon » un âge d’or comme on n’en
avait pas connu depuis Auriol et Peignot au début du XXè siècle. Mais
aussi des formes typiquement vernaculaires qui ne prirent jamais au-delà de l’Hexagone.
Aussi, elles devinrent ringardes comme elles le semblent encore aujourd’hui à
qui ne sait pas se détacher des phénomènes cycliques.
Les typos d’Olive sont pourtant redevenues tendances !
Les nouvelles années-Excoffon à partir de 2000 ont vu les designers
(re-)découvrir ce patrimoine de la France des yéyés. Artificiellement, peut-être.
Il n’empêche, il est devenu de très bon ton de réinvestir ces formes. Mais
attention, c’est un exercice périlleux ! Ces emplois exigent une culture
et un recul critique manifeste. D’autant que nos chers Banco, Mistral et Choc
sont toujours utilisés pour les entreprises de plomberie générale qui
sponsorisent les minimes de l’équipe de foot locale sur les bâches au bord du
terrain le dimanche matin. Elles sont toujours au catalogue des graphistes d’enseignes
qui les découpent au plotter pour le menuisier du coin.
L’identité visuelle du théâtre Frascati à Amsterdam par
le studio néerlandais De designpolitie
depuis 2009 (?) Banco est le pivot du déploiement et aussi le choix du
logo en défonce sur fond rouge.
Mais quand c’est réussi, les codes se brouillent pour
donner d’heureux exercices de style et pas uniquement dans le sens du vintage,
aussi pour des formules franchement stimulantes et donc, très actuelles.
On
a fait grand bruit de la pièce de titre du génial film de Nicolas Winding Refn avec l’atone Ryan Gosling en 2011. Si ça a le goût du
Mistral, ça n’en est pas exactement mais un lettrage très inspiré. On pouvait
attendre aussi un Brush Script. Ainée de 10 ans de Mistral, cette américaine
est plus propre à écrire ‘Florida’ sur un dégradé de sunset. Drive est un
produit bien plus exigeant ! D’ailleurs la B.O. de Cliff Martinez restitue
bien les jeux multiples de références ; et puis la jaquette de mon bluray
est moins fidèle à l’affiche du film…
Ci-après Mistral Vs Brush script:
Main
tenant le passé, Pierre
Fourny, Compagnie Alis, 2015. Le spectacle m’est apparu dans le programme
de la Scène Nationale de Sénart pour mai 2016. Je n’ai pas pisté le graphiste…
Pour de plus amples développements sur l’œuvre d’Excoffon
qui ne fut pas que dessinateur de caractères mais encore bon peintre et
excellent graphiste, l’article qui lui est consacré sur Graphéine, sans doute l’un
des plus complets. Mais je suis peut-être le dernier à traiter le thème ;
il n’y a pas un blog qui n’ait donné son dossier comme tout le monde le connait, après tout…
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