Avertissement.

Chers lecteurs, parfois les textes se jouent des ordres que je voudrais pourtant leur donner et s'affichent dans des tailles variables, à leur gré. Je ne prétendrais pas exceller dans le print mais c'est moins catastrophique que dans le numérique!!!

lundi 14 décembre 2015

Passez moi le 63-20 à Odéon

 
Prétexte du jour, cette plaquette commerciale de la fonderie Olive. Très probablement édité en 1954, ce petit spécimen me plait particulièrement en ce qu’il n’est pas étranger aux formes que j’ai choisies pour la pièce de titre de mon blog. Si je l’ai trouvé après le lancement de mon journal, les ingrédients et leurs connotations sont bien ceux qu’il me plaisait à endosser…
 

On associe très naturellement Olive à Marseille. C’est pourtant à Paris que l’aventure de Roger Excoffon, futur directeur artistique de la célèbre fonderie commence et pour une quinzaine d’année d’intense création pour l’identité de la typographie française.



 
 
Attention, pas de méprise: le Vendôme gras dans lequel est composée la marque Olive a été dessiné par François Ganneau sous la direction artistique d'Excoffon...


Tout le monde connait Roger Excoffon. C’était l’intitulé de la célébration qui lui fut donnée en 2011 au Musée de l’Imprimerie. Il eut aussi une expo à Rouen dans la foulée. Différentes éditions marquèrent aussi ce juste retour en grâce, le catalogue de l’expo bien sûr mais encore d’autres titres chez Ypsilon (2010) et Perrousseaux (2011).

Le titre de l’événement majeur était très opportun quand on réalise combien les créations d’Excoffon sont intégrées à notre environnement, dans quelle profondeur elles ont imprégné la culture collective. Elles sont un véritable marqueur identitaire national. Leur emploi massif a sans doute contribué à leur « dégradation » auprès d’une élite qui les qualifia de ringardes avant de les réinvestir avec chic quelques décades plus tard. Mais entre temps leur usage est resté commun dans l’univers des travaux de ville, de la communication locale ; des strates moins glamours que les plus nobles terrains investis dans les écoles de design mais néanmoins très représentatives de tous les métiers de la communication graphique, y-compris les plus petits.
 

On plaisante aujourd’hui quand on évoque les formes les plus fréquemment retenues pour identifier une boulangerie-pâtisserie, une boucherie-chevaline ou encore le café de la poste, tel salon de coiffure pour peu que le foncier de commerce ait connu les Trente Glorieuses. Ce sont en effet ces deux décennies 50 et 60 qui datent les typos de la fonderie Olive.
 
Comme je passais chez mon apothicaire hier matin, j’en ai profité pour prendre quelques photos avec l’aimable autorisation de la pharmacienne. Et sans enquêter très longtemps, les formes qui nous intéressent ressortent partout autour de soi. Autant dans des manifestations « d’époque » – des vitrines décorant le comptoir présentent de vieilles potions et autres moules à suppositoire –, que dans des emballages plus récents, en témoigne ici un produit parapharmaceutique dans une belle PLV toute pimpante.

 

L’enseigne en Nord, bien écrasé. Ce même Nord qu’on retrouve sur une boîte de canule en porcelaine, au dessus de capitales en Chambord étroit. L’autre emballage, plus ancien propose du Vendôme gras. Le Vendôme, disais-je, c’est pas Excoffon ! Mais c’est bien sous sa direction chez Olive que ce produit phare, sorte de néo-Garamond fut lancé. Un des plus grand succès de la fonderie. Enfin, on retrouve Mistral sur le comptoir ; le plus joli en évidence…

 

Petit inventaire de l’atelier

Je ne possède pas encore de casse de Vendôme, peut-être le produit majeur alors des fondeurs provençaux. Aussi, je ne peux pas illustrer mon propos sur ces formes là.

J’ai en revanche une casse de Chambord, en italique. C’est l’un des premiers chantiers d’Excoffon pour Olive. Chambord vient concurrencer le Touraine de Deberny & Peignot. Pour rappel, à l’époque trois enseignes se partagent la fourniture des imprimeurs : Olive, implanté dans le sud, Deberny, le plus gros acteur sur le marché, et enfin FTF elle aussi en région parisienne – voire là-dessus mon article sur Caravelle/Folio, ici et là. Chambord réussi surtout là où le Peignot de Cassandre, aussi audacieux que bancal avait échoué. Plus pratique que ce dernier qui n’était finalement doté que de capitales et d’étranges et hybrides petites capitales excluant ainsi l’usage de labeur (en lecture), Chambord est, à mon goût, plus élégant encore que le Touraine, lui un peu plus grossier mais néanmoins très investi aussi à cette période.

 
Chambord italique c.12
Un extrait composé en de tristes circonstances mais avec beaucoup d’amitié et de compassion…

 

Mais ma tendresse va par-dessus tout à Mistral. Pour plusieurs raisons. D’abord très sentimentales. Et là je dois saluer mon ami Claude, ancien de l’IN qui m’a confié mes premières casses en échange de la promesse de les faire vivre et de relayer la passion de ces formes et métiers. Aussi, mon Mistral corps 36 tient une place de choix dans mes rangs. Il se sent moins seul aujourd’hui, les corps 20 et 16 l'ont rejoint.
 
 
Mistral c.36 et c.20
Un fake un peu potache, j’en conviens. Pour tous ceux qui ont découvert l’existence d’Eric Whright A.K.A. Eazy E cet été. Ceux qui ne connaissait de Dr Dre que les pubs pour les casques audio et d’Ice Cube la piteuse carrière cinématographique. Non, les Raiders ne sont pas la franchise d’Oakland!!! Nigga4life, you M****F**** whiteys !

 
Mistral est un tour de force. Si cette forme a souvent endossé le caractère « franchouillard » bon à écrire Super-Dupont aux normes NF, elle a toujours été reconnue depuis sa création par les plus éminents dessinateurs de caractères comme un produit exceptionnel, quand bien même certains admirateurs n’en firent jamais usage. Il y a cette légende (?) de ce que Mistral est une synthèse de différentes cursives dont celle de son créateur. Sans doute, la conception a sacrifié à cet exercice. Mais ce sont les jonctions entre les glyphes pour une fluidité remarquable qui fondent l’admiration pour cette « scripte » (selon Vox ATypI). La puissance et la légèreté de Mistral, à la fois nerveuse et coulante le rendent tout à fait exceptionnel. Au-delà de ses mises en application, Mistral est beau. Juste beau. Tout seul. Encore faut-il, je reviens là-dessus, le regarder en dehors du prisme de la mode qui le ringardisait tantôt pour le rendre plus « hype » aujourd’hui…

Il faut se pencher sur une casse pour apprécier toute la finesse de Mistral. Depuis ses subtils contours accidentés que lissent forcément les traductions vectorielles en passant par la variété des ligatures qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les versions numériques. Par exemple, on distingue dans les cassetins du ‘e’ et du ‘s’ des glyphes « de sortie » ; le compositeur pouvait, à loisir, poser un ‘e’ plus long en fin de mot ou encore un ‘s’ sans sortie pour boucler tel autre mot.

 
 

 

Enfin, dernière star du specimen, Banco. Celui-ci aussi est une gloire nationale ! Sortez de chez vous, que vous habitiez en région ou au cœur de Paris, je ne vous donne pas 500m avant que vous le rencontriez sur une devanture. Mieux encore que ses camarades, Banco incarne la puissance commerciale des produits célébrés dans ce post. Plus encore que le stylo, c’est la brosse qui fait naitre Banco. J’ai pu lire qu’il était très inspiré du travail de Jacno dont les démonstrations à cet endroit sont particulièrement probantes – Jacno, dessinait, lui pour Deberny & Peignot.
 
Banco c20 et c16.

Quoi qu’il en soit, Banco n’a jamais perdu de sa superbe sur une affiche promotionnelle en fluo, mieux encore dans un phylactère étoilé ! Je regrette seulement de ne pas avoir de plomb marqueur de pourcentages pour m’amuser un peu plus…

 

Manquent à l’appel

Et pour cause… C’est ce qui permet de dater mon document : avant 1955, au regard des formes de caractères non créées alors. Manquent à l’appel – parmi les créations d’Excoffon –: Diane, la belle anglaise (1956). Une Diane aux accents de Médicis tant ses terminaisons sont tranchantes et ses pleins et déliés ambigus. Manque aussi, et non des moindres, Choc (1955), le partenaire idéal de Mistral qu’on peut présenter comme son alter ego en gras. D’ailleurs les deux formes se complètent bien, la dernière distinguant volontiers quelque titre par-dessus Mistral.
 

À défaut de l’inviter, un petit crochet par la casse de choc. Et si vous deviez vous figurer la chose, c’est le caractère choisi pour ‘laitramshop’ dans le header du blog…


Mais surtout, parmi les absents de marque, le fameux antique d’Olive, et connu comme tel: l’Antique Olive (ça ne s’invente pas). Je me suis généreusement épanché pour Mistral mais Antique Olive reste peut-être le chef d’œuvre du maître en ce qu’il investit un segment particulièrement exposé. Il est, dans son emploi comme son rayonnement, davantage qu’une élégante linéale latine ou une spectaculaire revue de style à des fins de titrage comme celles décrites au dessus. Antique Olive synthétise dans son format, et sa « famille » de rattachement (les linéales), toute l’originalité et l’esprit d’Excoffon. S’il n’est pas le produit visible du trait de plume ou du coup de pinceau, on y lit malgré tout toute la place faite au jeu « physique » de la main via l’outil et au plaisir esthétique. Une esthétique originale, disais-je, notamment dans sa graisse qu’on peut trouver « décalée » voire déplacée, en tous les cas affirmée à certains endroits tant on est, aujourd’hui, habitué à certains standards fonctionnalistes éminemment suisses-allemands. Ses sorties parfois acérées, « ex abrupto » selon l’expression de José Mendoza, collaborateur d’Excoffon dans l’oraison à son ami qu’il tint en 1983, portent la « griffe » du dessinateur. Cette vivacité, typique des caractères d’Excoffon distingue très nettement Antique Olive (1958-1962) des autres produits de filiations plus « grotesk » tels Univers ou Helvetica. Dans ce sens, il ne fut que très rarement investi au-delà de nos frontières bien que reconnu, cette fois encore, par les praticiens étrangers.

 
C’est ballot, il aura tenu cinquante ans avant de tomber tout récemment le beau logo d’Excoffon à peine relifté par Jean-François Porchez pour Euro-RSCG en 2000… Le Nord (illustration ci-dessus) devait sortir le premier (1956, pour l’identité exclusive d’Air France, puis 1958 pour sa commercialisation en police) avant de connaitre des déploiements dans des variantes plus maigres à partir de 1962 avec la gamme complète de l’Antique Olive.


Ci-dessous, de l’Antique Olive précède le Nord qu’on peut présenter, à tort donc, comme la version black de l’Antique. C’est l’inverse : Antique est la version maigre du Nord.




Pour finir, un petit mot pour cette curiosité inclassable dont j’ai ici une belle carte imprimée au plomb par l’atelier de création graphique & typographique La Casse, à Nantes. Le ‘L’ s’est substitué au ‘J’, dommage…
 
 


Un coup c’est bath, un coup c’est in…

Le statut de ces jolies formes a bien évolué et connu différents états de disgrâces en hommages. Si la fonderie Olive, comme ses rivales, a périclité dans les dernières années 60 ne tenant pas le virage de la photocomposition, les caractères sont restés encore un temps en usage. Ils avaient leur place dans les catalogues de lettres transfert Letraset qui constituent un petit âge intermédiaire dans les années 70. Progressivement, ils vont passer de mode. On voit dans ces « années-Excoffon » un âge d’or comme on n’en avait pas connu depuis Auriol et Peignot au début du XXè siècle. Mais aussi des formes typiquement vernaculaires qui ne prirent jamais au-delà de l’Hexagone. Aussi, elles devinrent ringardes comme elles le semblent encore aujourd’hui à qui ne sait pas se détacher des phénomènes cycliques.

Les typos d’Olive sont pourtant redevenues tendances ! Les nouvelles années-Excoffon à partir de 2000 ont vu les designers (re-)découvrir ce patrimoine de la France des yéyés. Artificiellement, peut-être. Il n’empêche, il est devenu de très bon ton de réinvestir ces formes. Mais attention, c’est un exercice périlleux ! Ces emplois exigent une culture et un recul critique manifeste. D’autant que nos chers Banco, Mistral et Choc sont toujours utilisés pour les entreprises de plomberie générale qui sponsorisent les minimes de l’équipe de foot locale sur les bâches au bord du terrain le dimanche matin. Elles sont toujours au catalogue des graphistes d’enseignes qui les découpent au plotter pour le menuisier du coin.

 
 

L’identité visuelle du théâtre Frascati à Amsterdam par le studio néerlandais De designpolitie depuis 2009 (?) Banco est le pivot du déploiement et aussi le choix du logo en défonce sur fond rouge.

Mais quand c’est réussi, les codes se brouillent pour donner d’heureux exercices de style et pas uniquement dans le sens du vintage, aussi pour des formules franchement stimulantes et donc, très actuelles.
 
 
On a fait grand bruit de la pièce de titre du génial film de Nicolas Winding Refn avec l’atone Ryan Gosling en 2011. Si ça a le goût du Mistral, ça n’en est pas exactement mais un lettrage très inspiré. On pouvait attendre aussi un Brush Script. Ainée de 10 ans de Mistral, cette américaine est plus propre à écrire ‘Florida’ sur un dégradé de sunset. Drive est un produit bien plus exigeant ! D’ailleurs la B.O. de Cliff Martinez restitue bien les jeux multiples de références ; et puis la jaquette de mon bluray est moins fidèle à l’affiche du film…
Ci-après Mistral Vs Brush script:

 
Main tenant le passé, Pierre Fourny, Compagnie Alis, 2015. Le spectacle m’est apparu dans le programme de la Scène Nationale de Sénart pour mai 2016. Je n’ai pas pisté le graphiste…


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Pour de plus amples développements sur l’œuvre d’Excoffon qui ne fut pas que dessinateur de caractères mais encore bon peintre et excellent graphiste, l’article qui lui est consacré sur Graphéine, sans doute l’un des plus complets. Mais je suis peut-être le dernier à traiter le thème ; il n’y a pas un blog qui n’ait donné son dossier comme tout le monde le connait, après tout… 
 

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